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— Toi ! oh ! toi ! s’écria-t-elle avec un grand cri, et elle s’élança vers le marquis et cacha, en fondant en larmes, sa tête sur sa poitrine.

Birbomono jugea que sa présence n’était plus nécessaire, et il se retira discrètement en fermant la porte derrière lui.

Don Sancho, aussi ému que sa sœur, mêlait ses larmes aux siennes.

— Clara ! ma pauvre Clara ! disait-il, et ces paroles résumaient sa pensée ; son cœur était trop plein pour qu’il lui fût possible de trouver des mots qui rendissent ce qu’il éprouvait.

— Mon frère ! mon cher Sancho, murmurait doña Clara à travers ses larmes, enfin te voilà ; je te vois ; je te presse sur mon cœur. Oh ! je suis heureuse, bien heureuse en ce moment.

— Ma sœur bien-aimée, remets-toi, reprends courage ; nous voici réunis après si longtemps. Oh ! je te ferai oublier tes angoisses et tes douleurs passées.

Elle se redressa subitement à ces paroles, écarta avec ses mains les cheveux qui voilaient son visage pâle et sillonné de larmes, et hochant tristement la tête :

— Hélas ! murmura-t-elle, je suis une créature maudite ; ne le sais-tu pas, Sancho ? Je suis seule, seule toujours.

Et, cachant son visage dans ses mains, elle recommença à pleurer.

Le marquis la conduisit doucement à un siège et s’assit près d’elle.

— Clara, lui dit-il en conservant une de ses mains dans les deux siennes et la regardant avec tendresse, tu n’es plus seule ; ne suis-je pas de retour enfin, et ne sais-tu pas que je t’aiderai de tout mon pouvoir dans tes recherches ?

— Hélas ! cette promesse, tu me l’as faite une fois déjà, mon frère, t’en souviens-tu ? et cependant…

— Oui, interrompit-il vivement, mais alors, ma sœur, j’étais un jeune homme, presque un enfant, sans consistance et sans volonté. Regarde-moi, aujourd’hui, je suis un homme mûr ; je suis fort, puissant ; beaucoup de choses que j’ignorais alors, je les sais maintenant. Je t’aiderai, te dis-je, ma sœur, et Dieu nous protégera : nous réussirons.

— Le crois-tu ? murmura-t-elle.

— Je l’espère, ma sœur.

— Oh ! parle, parle, je t’en supplie ; dis-moi ce que tu sais.

— Raconte-moi d’abord comment tu as vécu depuis notre séparation, ce que tu as fait, pourquoi tu as disparu tout à coup, nous laissant supposer que tu étais morte.

— À quoi bon te faire ce récit, mon frère ? Parle d’abord, toi.

— Non, je tiens à savoir ce que tu es devenue, et pourquoi tu as subitement renoncé au monde pour t’ensevelir toute vivante dans la solitude et le silence ?

— Tu exiges que je te rapporte cela, mon frère ?

— Je le désire, Clara, dis-moi tout ; ne crois pas que ce soit une vaine curiosité qui me guide ; j’ai besoin de connaître ta vie afin de te consoler.