Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de quelle façon Michel l’avait obligé à le sauver lorsqu’au contraire il venait d’être payé pour le perdre.

Bien que le nom du duc de Peñaflor n’eût pas une seule fois été prononcé pendant le récit du major, le comte devina cependant que c’était lui seul qui lui avait porté tous les coups dont il avait été si rudement éprouvé depuis dix-huit mois ; quelle que fût sa résolution, cette profondeur de haine, ce machiavélisme de vengeance l’effrayèrent ; mais dans ce récit si circonstancié, un point pour lui était demeuré noir : comment Michel avait-il découvert la dernière machination de ses ennemis et cela assez à temps pour se mettre en mesure de la déjouer ?

À toutes les questions que lui adressa le comte, le major ne put rien répondre, il l’ignorait.

— Eh bien ! dit le matelot en entrant tout à coup dans la chambre, êtes-vous instruit maintenant, capitaine ?

— Oui, répondit celui-ci avec une certaine nuance de tristesse, sauf un point cependant.

— Lequel ? capitaine.

— Je voudrais savoir de quelle façon vous avez découvert cette trame si bien ourdie.

— Très simplement, capitaine. En deux mots voici la chose : Vent-en-Panne et moi, sans que le major s’en doutât, nous l’avions suivi à pas de loup dans les ruines en prenant bien garde d’être aperçus par lui ; de cette façon rien de sa conversation avec l’inconnu ne nous échappa. Lorsque le major lui eut remis les papiers, et que l’inconnu se fut éloigné, je lui sautai à la gorge, avec l’aide de Vent-en-Panne, je lui enlevai les papiers…

— Et ces papiers ? interrompit vivement le comte.

— Je vous les donnerai, capitaine.

— Merci, Michel ; maintenant continue.

— Ma foi, c’est fini ! je le bâillonnai pour l’empêcher de crier et, après l’avoir ficelé comme une carotte de tabac pour le mettre dans l’impossibilité de courir après nous, je le laissai là et je m’en fus.

— Comment, tu t’en fus, Michel, en abandonnant cet homme ainsi bâillonné et garrotté dans une île déserte ?

— Que vouliez-vous que j’en fasse, capitaine ?

— Oh ! peut-être mieux eût-il valu le tuer, que de le laisser à un aussi horrible supplice.

— Avec cela qu’il était tendre pour vous, lui, capitaine ! Allons donc, de la pitié pour une semblable bête féroce, ce serait une duperie de votre part ; d’ailleurs le diable protège toujours ses créatures : soyez tranquille, je suis certain qu’il est sauvé.

— Comment cela ?

— Pardieu ! il n’est pas venu à la nage dans Saint-Honorat, ses gens étaient probablement cachés quelque part ; ennuyés de ne pas le voir revenir, ils se seront mis à sa recherche et l’auront ramassé où je l’ai couché ; il en aura été quitte pour ronger son frein pendant deux ou trois heures peut-être.