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absence accourut avec empressement au-devant de lui, curieux de connaître le motif d’un si prompt retour.

Le major répondit d’abord, d’une façon évasive, que des nouvelles qu’il avait reçues en touchant la terre ferme avaient nécessité l’interruption immédiate de son voyage et, tout en causant ainsi, il entra dans le fort et se dirigea vers son appartement, toujours suivi du capitaine qu’il avait engagé à l’accompagner.

— Monsieur, lui dit-il, dès qu’ils furent seuls, vous allez immédiatement choisir dans la garnison dix hommes résolus, vous vous embarquerez avec eux sur le bateau pêcheur que j’ai vu en arrivant échoué sur la plage. Cette mission que je vous confie est des plus importantes, et, si vous l’accomplissez bien, peut avoir pour vous des avantages sérieux ; elle doit être menée avec le plus profond mystère : secret d’État, monsieur.

Le capitaine s’inclina avec reconnaissance, visiblement flatté de la confiance que lui témoignait son chef.

Le major continua :

— Vous vous ferez débarquer un peu au-dessous d’Antibes, sur la côte, et vous retiendrez l’embarcation qui devra vous servir au retour ; vous vous arrangerez de façon à n’entrer dans la ville que de nuit, sans attirer l’attention sur vous ; vous logerez vos hommes comme vous pourrez, sans éveiller la méfiance, mais de façon à les avoir sous la main en un instant. Demain à dix heures du matin, vous vous présenterez au gouverneur de la ville, vous lui remettrez une lettre que je vais vous donner et vous vous tiendrez à sa disposition. M’avez-vous bien compris, monsieur ?

— Parfaitement, monsieur le gouverneur.

— Surtout, je vous recommande la plus entière discrétion ; songez que du succès de cette mission dépend probablement votre fortune.

— Je vous obéirai, monsieur le gouverneur ; vous n’aurez, je l’espère, que des compliments à m’adresser à mon retour.

— J’y compte, monsieur, allez ; il faut que vous soyez parti avant une demi-heure. Pendant vos préparatifs j’écrirai la lettre ; elle sera prête quand vous viendrez prendre congé de moi.

Le capitaine, après une respectueuse salutation, se retira la joie au cœur, sans avoir le moindre soupçon de la trahison méditée par son chef, et alla en toute hâte tout préparer pour son départ.

Le major avait sous ses ordres une garnison de cinquante soldats commandés par trois officiers, un capitaine et deux lieutenants.

Ce capitaine, le plus élevé en grade après lui, l’aurait sans doute, sinon complètement embarrassé, du moins fort gêné dans la réussite du coup de main qu’il méditait, à cause du prétexte qu’il lui aurait fallu inventer pour colorer à ses yeux le manque d’ordre écrit de mettre le comte en liberté.

En l’éloignant, le major n’avait plus en face de lui que deux officiers subalternes trop bas placés dans la hiérarchie militaire pour se permettre de faire des observations, ou hésiter à accomplir ses ordres, d’autant plus que, depuis près de dix ans que M. de l’Oursière commandait la forteresse de Sainte-