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imagination. Maintenant, que pensez-vous de ma proposition, l’acceptez-vous ?

— Qui m’assure que vous ne me trompez pas, et que lorsque j’aurai rempli les conditions du marché que vous m’imposez, vous tiendrez aussi strictement les vôtres ?

— La parole d’un honnête homme, monsieur, parole qui, bien qu’étant celle d’un simple matelot, vaut celle d’un gentilhomme.

— Je vous crois, monsieur, répondit le major en baissant les yeux sous l’éclat fulgurant du regard de Michel.

— Ainsi, c’est convenu ?

— Convenu, oui.

— C’est bien. Ohé ! Nicaud ! cria Michel.

Le patron arriva avec une rapidité qui prouvait qu’il n’était pas demeuré fort loin des deux interlocuteurs.

— Me voilà, Michel, que me veux-tu ?

— Où sommes-nous en ce moment ? demanda le matelot.

— À cinq lieues environ au vent de l’île Sainte-Marguerite.

— Bon ! Tenons-nous comme ça jusqu’au point du jour ; au lever du soleil nous laisserons arriver en grand sur l’île, où nous accosterons.

— Bien, matelot, c’est entendu.

— Ah ! voici M. le gouverneur qui a, je le crois, besoin de prendre un peu de repos. Ne pourrais-tu pas le caser quelque part où il ait la liberté de dormir pendant trois ou quatre heures ?

— Rien de plus facile ; comme moi je ne me coucherai pas cette nuit, non plus que toi, sans doute, ma chambre est à la disposition de M. le major, s’il me veut faire l’honneur de l’accepter.

Le vieil officier était réellement brisé, non seulement par la fatigue d’une longue veille, mais surtout par les émotions que pendant cette soirée il avait éprouvées. Certain que désormais il n’avait rien à redouter pour sa sûreté, il accepta sans façon l’offre du patron et se retira dans la chambre dont celui-ci lui ouvrit poliment la porte. Les deux marins remontèrent sur le pont.

— Cette fois, dit Michel, je crois que nous avons bien manœuvré et que notre projet réussira.

— Je commence à être de ton avis ; c’est égal, ce vieux cormoran de gouverneur a été dur, hein !

— Pas trop, fit Michel en riant ; d’ailleurs, il n’avait pas le choix, bon gré mal gré, il fallait bien qu’il s’exécutât.

Ainsi que cela avait été convenu, le lougre louvoya pendant toute la nuit au vent de l’île, à une distance de quatre ou cinq lieues de la côte.

Au lever du soleil, on laissa porter en grand sur Sainte-Marguerite.

La brise avait faibli près des côtes, de sorte qu’il fallut un espace de temps assez long pour que le léger navire atteignît l’espèce de petit havre servant de débarcadère situé devant le château.

Le lougre calait trop d’eau pour qu’il lui fût possible d’accoster bord à quai ; il se tint donc en panne à une certaine distance, le patron Nicaud fit