Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous vous jouez de moi, vous ne parlez pas sérieusement.

— Jamais, au contraire, je n’ai été plus sérieux. À l’arrivée du comte au château que vous commandez, vous n’étiez qu’un pauvre diable d’officier de fortune qui, pendant toute sa vie, avait tiré le diable par la queue, et qui, perché comme un hibou sur un vieux mur, étiez dans votre île exposé à mourir comme vous aviez vécu, c’est-à-dire sans un denier comptant. Depuis quinze ou dix-huit mois, les choses ont pour vous complètement changé de face. Avec ce que vous avez extorqué au comte et ce que ses ennemis vous ont donné, vous êtes parvenu à vous constituer une assez jolie somme. En admettant que vous touchiez les cinquante mille livres du comte et que je vous rende le diamant, cela vous créerait une fortune complètement indépendante, qui vous permettrait de vous retirer n’importe où et d’y finir vos jours dans la joie et l’abondance. N’êtes-vous pas de cet avis ?

— Certes ; mais les cinquante mille livres, je ne les toucherai pas, et le diamant vous me l’avez pris.

— C’est juste ; mais j’ai ajouté qu’il ne dépendait que de vous, de vous seul, de l’avoir de nouveau en votre possession.

— Que faut-il faire pour cela ?

— Voilà où je vous attendais, major ; vous consentez donc à entrer en arrangement ?

— Il le faut bien ! ai-je mon libre arbitre en ce moment ?

— On l’a toujours quand on veut, major, et vous le savez aussi bien que moi ; seulement, comme vous êtes un homme doué d’une forte dose d’intelligence, que vous comprenez que lorsque, par des moyens plus ou moins honorables, on s’est fait une fortune, il faut la conserver à tout risque, vous commencez à prêter aux propositions que vous devinez que je me prépare à vous faire une oreille plus attentive, convaincu enfin qu’il va de votre intérêt de vous entendre avec moi.

— Supposez ce que vous voudrez, peu m’importe ; mais dites-moi enfin ces propositions, afin que je sache s’il est de mon honneur de les accepter ou si je dois les refuser.

Michel se mit à rire sans cérémonie à cette boutade, par laquelle le major cherchait à masquer sa capitulation.

— Au lieu d’aller à Paris, dit-il, vous retournerez tout simplement à Sainte-Marguerite. Vous vous rendrez auprès du comte, vous lui direz qu’il est libre, et vous reviendrez avec lui à bord du lougre, qui vous attendra. Lorsque le comte et vous serez à bord, le lougre remettra sous voiles. Alors je vous rendrai votre diamant ; je vous compterai les cinquante mille livres convenues, et comme il vous déplaira sans doute de reprendre après cette équipée le commandement de votre château, je vous transporterai, vous et vos richesses, où il vous plaira de vous retirer pour en jouir sans craindre d’être inquiété.

— Mais, observa le major, que dirai-je au comte pour lui persuader qu’il est libre par l’ordre du roi ?

— Ceci ne me regarde pas, c’est votre affaire, que diable ! Vous vous faites tort, mon cher major, en laissant mettre en doute la puissance de votre