Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pas plus, n’est-ce pas, à celui qui me fait vous rencontrer ici, qu’à celui qui vous fait, à vous, trouver dans une île déserte des diamants de trois cent mille livres, parce que l’un est aussi impossible que l’autre ?

Cette fois le major n’essaya pas de répondre, il se sentait pris.

Michel continua toujours du même ton railleur et goguenard :

— Certes, c’est ingénieux d’agir comme vous le faites ; on s’enrichit vite à prendre des deux mains, mais de même que tous les métiers qui sont trop bons, celui-ci est fort chanceux.

— Vous m’insultez, misérable ! balbutia le major, prenez garde à ce que vous dites, si j’appelle…

— Allons donc, interrompit le matelot avec un gros rire ; je ne veux pas relever l’insulte que vous me jetez à la face ; j’ai autre chose à faire en ce moment ; quant à appeler, essayez, vous verrez ce qu’il adviendra.

— Mais c’est une trahison !

— Pardieu ! est-ce que nous ne sommes pas tous traîtres plus ou moins ? Vous l’êtes, je le suis, c’est convenu, cela ; ainsi il est, croyez-moi, inutile de nous appesantir plus longtemps sur ce sujet, mieux vaut revenir à notre affaire.

— Parlez, murmura le major d’une voix sombre.

— Mais, tenez, je veux vous donner une preuve de franchise et vous montrer une fois pour toutes combien vous auriez tort de conserver, je ne dirai pas la moindre espérance, mais la plus légère illusion sur ce qui va se passer ici. Et frappant légèrement le fond de son verre sur la table :

— Hé ! Nicaud, cria-t-il d’une voix forte, affale ici en double, mon gars.

Un pas lourd résonna sur les marches de l’escalier de la chambre, et presque aussitôt la figure narquoise du patron Nicaud s’encadra dans le chambranle de la porte.

— Que me veux-tu, Michel ? demanda-t-il sans même paraître s’apercevoir de la présence du major.

— Peu de chose, mon gars, répondit le matelot en désignant du doigt l’officier pâli par l’émotion qu’il éprouvait, une simple question pour la satisfaction personnelle de monsieur.

— Parle.

— Qui est-ce qui commande actuellement le lougre La Mouette, dans la chambre duquel nous nous trouvons en ce moment ?

— Toi, pardi ! c’est pas malin, ça.

— Ainsi tout le monde à bord, toi compris, me doit obéissance ?

— Certes, et sans observation encore.

— Très bien. Ainsi, une supposition, Nicaud, je t’ordonnerais de prendre le major ici présent, de lui attacher deux boulets aux pieds et de le jeter à la mer, que ferais-tu, mon gars ?

— Ce que je ferais ?

— Oui.

— J’obéirais.

— Sans observation ?

Le patron Nicaud haussa les épaules.

— Faut-il ? dit-il en étendant sa large main vers le major qui frissonna.