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tal et querelleur, défauts d’ailleurs qui appartiennent à peu près à tous les marins et qui ne diminuaient en rien la bonne réputation dont jouissait le commandant du lougre La Mouette.

Dès que le major de l’Oursière fut remonté sur le pont du lougre et que le léger navire eut repris la bordée du large, après avoir jeté un dernier regard sur l’île Honorât, dont les contours se faisaient de plus en plus vagues et se fondaient dans la brume, il s’avança vers le capot de l’arrière, saisit la tire-veille et descendit dans la chambre.

Mais en entrant dans cette chambre qu’il croyait trouver solitaire, le patron étant resté sur le pont, le major retint à peine une exclamation de surprise.

Un homme se trouvait dans la chambre, assis à une table et buvant nonchalamment du rhum mélangé d’eau, tout en fumant dans une énorme pipe et faisant flotter autour de lui un nuage de fumée bleuâtre qui l’enveloppait comme d’une auréole.

Dans cet homme, le major avait reconnu Michel le Basque, le pêcheur.

Après une seconde d’hésitation, le major entra ; bien que la présence de cet individu à bord du lougre fût assez singulière, cependant elle n’avait rien en soi qui dût effrayer le major, lequel n’avait aucune raison pour supposer que Michel lui fût hostile et qu’il eût quelque chose à redouter de lui.

Au bruit fait par le major en pénétrant dans la chambre, le matelot s’était à demi retourné vers lui, sans quitter sa pipe des lèvres. Cependant, et tout en continuant à porter à la bouche le verre qu’il tenait de la main droite :

— Eh ! dit-il d’un ton goguenard, c’est, si je ne me trompe, notre estimable gouverneur de Sainte-Marguerite ! Charmé de vous voir, en vérité, major.

— Tiens, tiens, fit sur le même ton le major, c’est ce brave Michel ! Par quel hasard vous trouvé-je ici, vous que j’étais en droit de supposer occupé en ce moment je ne sais où à la pêche ?

— Bah ! fit Michel en ricanant, on pêche partout, aussi bien ici qu’ailleurs. Est-ce que vous ne prenez pas un siège, major, ou craignez-vous de vous compromettre en vous asseyant auprès d’un pauvre diable comme moi ?

— Vous ne le pensez point, répondit le major en se plaçant sur une chaise.

— Vous ne fumez pas, hein ? lui demanda Michel.

— Non, c’est une distraction de marin, ceci.

— En effet, major, mais vous buvez, je suppose.

Le major tendit son verre que le matelot emplit libéralement.

— À votre santé, major. Si je m’attendais à voir quelqu’un, ce n’était pas vous, par exemple !

— N’est-ce pas ?

— Ma foi, non.

— Eh bien ! franchement, je ne croyais pas non plus vous rencontrer.

— Je le sais bien ; vous venez de l’île Honorât ?

— Dame ! vous ne pouvez l’ignorer, il me semble, puisque je vous trouve ici.

— C’est donc pour vous que nous avons perdu deux heures à louvoyer entre les îles, au risque de nous jeter sur quelque brisant, au lieu de faire nos affaires ?