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— J’y compte, monsieur. Avons-nous quelque bateau pêcheur encore dans le havre ? J’aimerais autant ne pas me servir de l’embarcation de la forteresse, dont la garnison est assez faible.

— Le bateau pêcheur dont vous vous servez habituellement, monsieur le major, et qui est commandé par un certain Michel, je crois, était amarré bord à quai, il y a une heure à peu près, mais il est probable qu’il est parti pour aller, selon son habitude, jeter ses filets au large des récifs.

— Hum ! fit le major, quand même il serait là, je me ferais un scrupule d’occasionner une perte considérable de temps au pauvre diable pour me mettre à terre. Ces pêcheurs ne sont pas riches, chaque minute qu’on leur enlève leur fait manquer le bénéfice déjà si minime d’une longue et dure nuit de travail.

L’officier s’inclina, s’associant en apparence aux pensées philanthropiques de son chef, bien que son visage étonné témoignât de la surprise que lui causait l’expression de tels sentiments dans la bouche d’un homme comme le major.

— N’y a-t-il pas d’autres embarcations ici ? continua le major en affectant un air indifférent.

— Pardonnez-moi, monsieur, un lougre contrebandier se prépare en ce moment à prendre la mer.

— Fort bien, faites prévenir le patron que je désire qu’il me prenne à son bord. Allez, monsieur, et veuillez vous hâter, je suis pressé.

L’officier se retira pour accomplir l’ordre qui lui était donné, le major prit quelques papiers, importants sans doute, renfermés dans une cassette de fer, fermée avec soin, cacha ces papiers dans son habit, s’enveloppa de son manteau et sortit du château salué par les sentinelles qui lui présentaient les armes sur son passage.

— Eh bien ! demanda-t-il à l’officier qui venait au-devant de lui.

— J’ai parlé au patron, monsieur ; il vous attend, répondit celui-ci.

— Je vous remercie, monsieur ; maintenant, rentrez au château et veillez attentivement à sa sûreté, jusqu’à mon retour.

L’officier prit congé et le major se dirigea vers l’espèce de petit quai où l’attendait le canot du lougre.

Dès que le gouverneur fut à bord, le contrebandier largua les amarres et mit sous voiles.

Lorsque le léger navire eut pris son aire, le patron s’approcha respectueusement du major.

— Où mettons-nous le cap, monsieur le gouverneur ? demanda-t-il en ôtant son bonnet de laine.

— Ah ! ah ! c’est vous, patron Nicaud ? fit le gouverneur qui, habitué à traiter avec les contrebandiers, connaissait la plupart d’entre eux par leurs noms.

— Moi-même, pour vous servir si j’en étais capable, monsieur le gouverneur, répondit poliment le patron.

— Dites-moi, fit le major, vous plairait-il de gagner dix louis ?

Le marin éclata d’un gros rire.