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— Ah ! dit le comte. Il ne serait pas mal non plus que vous tâchiez de retrouver l’exempt qui m’a conduit ici, un certain François Bouillot.

— Je sais où le prendre, répondit le major avec le même sourire d’intelligence.

— Très bien ! Alors, mon cher gouverneur, je n’ai plus rien à ajouter, ni de recommandations à vous faire, sinon de vous souhaiter un bon voyage.

— Il le sera, monsieur le comte, je vous le jure.

— Il est vrai que la somme est ronde ! cinquante mille livres !

— Je n’aurai garde d’oublier le chiffre.

Sur cette parole, le major prit congé de son prisonnier et se retira avec force saluts.

— Je crois que cette fois je vais être libre ! s’écria le comte dès qu’il fut seul. Ah ! monsieur le duc, nous allons donc enfin lutter à armes égales !


IX

M. DE L’OURSIÈRE

S’il avait été possible au comte de Barmont, à travers les épaisses planches de chêne doublées de fer qui fermaient la porte de sa prison, d’apercevoir le visage du gouverneur dès que celui-ci l’eut quitté, il n’eût pas chanté victoire aussi haut et ne se fût pas cru aussi près de sa délivrance.

En effet, dès que le major n’avait plus eu à redouter le regard clairvoyant de son prisonnier, ses traits avaient pris immédiatement une expression de cynique méchanceté impossible à rendre ; ses yeux voilés avaient brillé d’un feu sombre sous ses paupières grises, et un sourire ironique avait relevé les coins de ses lèvres pâles et minces.

C’était le soir, la nuit commençait à tomber et à confondre tous les objets, en les noyant dans une teinte d’un noir obscur, d’instant en instant plus épaisse.

Le major rentra dans ses appartements, couvrit ses épaules d’un épais manteau, enfonça son chapeau sur ses yeux et fit appeler son lieutenant.

Celui-ci se présenta aussitôt.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, à la figure fine et intelligente, dont les traits étaient empreints de douceur et même de bonté.

— Monsieur, lui dit le gouverneur, je pars à l’instant pour Antibes, où m’appellent de graves intérêts ; mon absence se prolongera probablement quelques jours. Pendant que je demeurerai éloigné du château, je vous investis de son commandement, veillez à sa sûreté et surtout tenez la main à ce que le prisonnier ne puisse, au cas où il le voudrait, ce que je ne crois pas, tenter une évasion. Ces tentatives, bien que ne réussissant pas, déconsidèrent une forteresse et sont de mauvaises notes pour son gouverneur.

— Je veillerai avec le plus grand soin, monsieur le major.