Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le cardinal Richelieu et le roi Louis XIII, tous deux, étaient malades sérieusement. Leur mort ne tarderait pas à venir et à amener un changement de règne ; deux ans, trois ans, quatre ans au plus tard, et arriverait cette catastrophe dont une des conséquences serait de produire une réaction, et, par conséquent, d’ouvrir à tous les prisonniers du défunt ministre les prisons dont celui-ci avait scellé sur eux les portes.

Le comte avait vingt-cinq ans : donc le temps lui appartenait, et cela d’autant plus que, rendu à la liberté, il rentrerait dans tous ses droits, et en qualité d’ennemi de Richelieu se trouverait bien en cour, c’est-à-dire en mesure, à cause du crédit passager dont il jouirait, de reprendre tout l’avantage qu’il avait perdu vis-à-vis de son ennemi.

Il n’y a que les hommes énergiquement doués et réellement sûrs d’eux-mêmes qui sont capables de faire de tels calculs et de suivre opiniâtrement une ligne de conduite aussi en dehors de toutes combinaisons logiques ; mais ces hommes qui mettent ainsi résolument le hasard de leur côté et le comptent comme partenaire, réussissent toujours dans ce qu’ils veulent faire, à moins que la mort ne vienne subitement les arrêter court.

Par l’entremise de la Grenade et la connivence tacite du gouverneur qui fermait les yeux avec un charmant laisser-aller, le comte, non seulement était au courant de tout ce qui se passait au dehors, mais encore il recevait des lettres de ses amis, lettres auxquelles il répondait.

Un jour, après avoir lu une lettre que la Grenade lui avait donnée en lui apportant à déjeuner, lettre du duc de Bellegarde qui lui était parvenue par l’entremise de Michel, car le brave marin n’avait pas voulu s’éloigner de son ancien commandant et s’était improvisé pêcheur à Antibes avec Vent-en-Panne pour matelot, le comte fit prier par la Grenade le gouverneur de lui accorder quelques minutes d’entretien.

Le major savait que chaque visite qu’il faisait à son prisonnier se traduisait pour lui en un bénéfice quelconque ; aussi se hâta-t-il de se rendre dans sa chambre.

— Monsieur, lui dit tout d’abord le comte en le voyant, savez-vous la nouvelle ?

— Quelle nouvelle, monsieur le comte ? répondit le major tout ébahi, car il ne savait rien.

En effet, placé comme il l’était en dehors de tout mouvement à l’extrême frontière du royaume, les nouvelles, quelles qu’elles fussent, ne lui parvenaient, pour ainsi dire, que par hasard.

— Le cardinal-ministre est mort, monsieur ! Je viens de l’apprendre par une voie sûre.

— Oh ! fit le major en joignant les mains ; car cette mort pouvait lui faire perdre sa place.

— Et, ajouta froidement le comte, Sa Majesté le roi Louis XIII est au plus mal.

— Quel malheur, mon Dieu ! s’écria le gouverneur.

— Ce malheur peut être heureux pour vous, monsieur, reprit le comte.

— Heureux ! lorsque je suis menacé de me voir retirer mon commande-