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— Quelle que soit votre intention à cet égard, laissez-moi, monsieur, vous parler à mon tour comme un militaire franc et loyal. Prisonnier du roi, pour un temps sans doute fort long, l’argent m’est complètement inutile ; sans être riche, je jouis cependant d’une certaine aisance, ce dont je me félicite, puisque cette aisance me permet de reconnaître les complaisances que vous aurez pour moi ; service pour service, monsieur : je vous donnerai dix mille livres tous les ans payés d’avance, et de votre côté, vous, eh bien ! ma foi, vous me permettrez de me procurer à mes frais, bien entendu, tous les objets susceptibles d’adoucir ma captivité.

Le major eut un éblouissement ; le vieil officier de fortune n’avait pas, dans toute sa vie, possédé une somme aussi forte.

Le comte reprit, sans paraître remarquer l’effet produit par ses paroles sur le gouverneur :

— Ainsi, voilà qui est bien entendu : à la somme que le roi vous alloue pour ma nourriture, nous ajouterons deux cents livres par mois, soit deux mille quatre cents livres par an, pour papier, plumes, livres, etc. ; nous mettrons une somme ronde de trois mille livres, cela vous convient-il ainsi ?

— Ah ! monsieur, c’est trop, beaucoup trop, même.

— Non, monsieur, puisque je viens en aide à un galant homme qui m’en saura gré.

— Je vous en conserverai une éternelle reconnaissance, monsieur seulement, ne m’en veuillez pas de ma franchise, vous m’obligez à faire des vœux pour vous conserver le plus longtemps possible.

— Qui sait, monsieur le major, si mon départ ne vous sera pas plus avantageux que mon séjour ici, dit-il, avec un fin sourire, veuillez me prêter vos tablettes.

Le major les lui présenta.

Le comte arracha un feuillet, écrivit dessus quelques mots au crayon, et le lui remettant :

— Voici, dit-il, un bon de seize mille livres que vous pourrez faire toucher à vue sur la maison Dubois, Loustal et Compagnie, de Toulon, aussitôt que vous en aurez le loisir.

Le gouverneur s’empara du papier avec un frisson de joie.

— Mais il me semble que ce bon porte huit cents livres de plus que la somme stipulée entre nous ? dit-il.

— En effet, monsieur, mais ces huit cents livres sont pour l’achat des différents objets dont voici la liste, et que je vous prie de me procurer.

— Demain, vous les aurez, monsieur le comte, et après s’être incliné fort bas, le gouverneur sortit à reculons de la chambre.

— Allons, murmura gaiement le comte lorsque la lourde porte se fut refermée sur le major, je ne m’étais pas trompé, j’avais bien jugé cet homme, il est réellement complet ; mais son vice le plus développé est bien décidément l’avarice ; lorsque cela me plaira, je crois que j’en ferai quelque chose ; mais je ne dois pas aller trop vite, il me faut agir avec la plus grande prudence.

Certain de ne plus être dérangé, au moins pendant quelques heures, le comte ouvrit le coffre apporté par les deux soldats, afin de s’assurer si le