Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Que personne ne me suive ! cria le capitaine en s’élançant à terre.

Mais Michel ne tint aucun compte de cet ordre et, au risque de ce qui pouvait lui arriver, il se mit à la poursuite du comte, qu’il ne voulut pas abandonner dans l’état affreux où il le voyait.

Bien lui en prit, car lorsqu’il atteignit la maison habitée par doña Clara, il vit le jeune homme étendu sans connaissance à terre.

La maison était déserte, doña Clara avait disparu.

Le matelot chargea son capitaine sur ses épaules et regagna l’embarcation, où il l’installa du mieux qu’il put dans la chambre d’arrière.

— Où allons-nous ? demanda le patron.

— À la frégate française et vivement, répondit Michel.

Lorsque l’embarcation eut accosté le long du bord de la frégate, Michel paya au patron la récompense promise, puis, aidé par quelques hommes de l’équipage, il fit transporter le capitaine dans sa chambre.

Comme il fallait, avant tout, garder le secret du comte et éviter d’éveiller les soupçons, le matelot, dans son rapport au commandant en second, mit sur le compte d’une chute violente de cheval l’état dans lequel se trouvait le capitaine, puis, après avoir fait signe à Vent-en-Panne de le suivre, il redescendit dans la chambre.

M. de Barmont était toujours immobile comme s’il fût mort, le chirurgien en chef de la frégate lui prodiguait en vain les soins les plus empressés, sans parvenir à réveiller la vie, qui semblait avoir fui pour toujours.

— Éloignez vos aides ; Vent-en-Panne et moi nous suffirons, major, dit Michel au docteur, en lui faisant un signe d’intelligence.

Le chirurgien comprit et congédia les infirmiers ; lorsque la porte se fut refermée sur eux, le matelot attira le docteur dans un poste à canon, et lui parlant à voix basse à l’oreille de façon à être à peine entendu de lui :

— Major, lui dit-il, le commandant vient d’éprouver une grande douleur qui a déterminé la crise terrible qu’il subit en ce moment ; je vous confie ça à vous, major, parce qu’un médecin c’est comme un confesseur.

— Va, mon gars, tu peux être tranquille, répondit le chirurgien, le secret du commandant est tombé dans des oreilles sûres.

— J’en suis convaincu, major ; il faut que pour l’état-major et l’équipage le commandant ait fait une chute de cheval, vous comprenez ; je l’ai déjà dit au lieutenant en lui faisant mon rapport.

— Très bien ! je corroborerai ton dire, mon garçon.

— Merci, major ; maintenant j’ai encore une autre chose à vous demander.

— Parle.

— Il faut que vous obteniez du lieutenant que personne autre de l’équipage que Vent-en-Panne et moi nous soignions le commandant ; voyez-vous, major, nous sommes de vieux matelots à lui, il peut tout dire devant nous sans se gêner, et puis ça lui fera plaisir de nous savoir là auprès de lui ; obtiendrez-vous ça du lieutenant, major ?

— Oui, mon gars ; je sais que tu es un brave garçon fort attaché au com-