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secours à doña Clara ; ma chère cousine paraît être fort gravement indisposée.

— L’émotion seule, reprit le jeune homme, a causé cet évanouissement qui, si je ne me trompe, commence déjà à se dissiper.

— En effet, dit le duc, je crois lui avoir vu faire un léger mouvement ; mieux vaut ne pas la tourmenter et lui laisser reprendre doucement connaissance ; de cette façon, nous éviterons une secousse dont les suites sont parfois fort dangereuses sur les organisations délicates et nerveuses, comme est celle de ma chère enfant.

Tout cela avait été dit d’un ton froid, sec et compassé, fort éloigné de celui qu’aurait dû employer un père dont la fille vient d’échapper miraculeusement à la mort.

Le jeune officier ne savait que penser de cette indifférence réelle ou feinte.

Ce n’était que de la morgue espagnole. Le duc aimait sa fille autant que sa nature altière et ambitieuse le lui permettait, mais il aurait eu honte de le laisser paraître, surtout devant un étranger.

— Monsieur, reprit le duc, après un instant, en s’effaçant à demi pour produire le gentilhomme qui l’accompagnait, j’ai l’honneur de vous présenter mon cousin et mon ami, le comte don Stenio de Bejar y Sousa.

Les deux gentilshommes se saluèrent.

Le comte n’avait aucun motif pour garder l’incognito : il comprit que le moment était venu de se faire connaître.

— Messieurs, dit-il, je suis le comte Ludovic de Barmont-Senectaire, capitaine des vaisseaux de Sa Majesté le roi de France, et commandant la frégate du roi L’Érigone, actuellement mouillée dans la baie d’Algésiras.

En entendant prononcer le nom du comte, le visage du duc pâlit affreusement, ses sourcils se froncèrent à se joindre, et il lui lança un regard d’une expression étrange.

Mais cette émotion n’eut que la durée de l’éclair ; par un effort extrême de volonté, l’Espagnol refoula au fond de son cœur les sentiments qui l’agitaient ; il rendit à son visage son impassibilité première, et il s’inclina en souriant.

La glace était rompue entre les trois hommes, ils se reconnaissaient de même race ; leurs manières changèrent aussitôt : ils devinrent aussi affables que, de prime abord, ils avaient été roides et compassés.

Ce fut le duc qui, de nouveau, renoua l’entretien, du ton le plus amical.

— Vous profitez sans doute de la trêve qui vient d’être dénoncée, il y a quelque temps, entre nos deux nations, dit-il, monsieur le comte, pour visiter notre pays ?

— Pardonnez-moi, monsieur le duc, j’ignorais que les hostilités eussent cessé entre nos deux armées : je suis depuis longtemps déjà en mer et sans nouvelles de France ; le hasard seul m’a conduit sur cette côte, il y a quelques heures à peine, je me suis réfugié dans la baie d’Algésiras pour attendre que le vent change et me permette de passer le détroit.

— Je bénis ce hasard, comte, puisque c’est à lui que je dois le salut de ma fille.