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Il fallait être fou ou doué d’un courage de lion pour essayer de sauver cette malheureuse femme, dans des conditions semblables, où l’on avait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent d’être broyé, sans réussir à la soustraire à la mort.

Cependant les deux marins ne firent aucune de ces réflexions, et, sans hésiter, résolus à tenter un effort suprême, ils s’embusquèrent en face l’un de l’autre, à droite et à gauche du sentier, et attendirent sans échanger une parole : ils s’étaient compris.

Deux ou trois minutes s’écoulèrent, puis le cheval passa comme un tourbillon ; mais rapides comme la pensée, les deux hommes s’élancèrent, le saisirent à la bride, et pesant fortement dessus, ils se laissèrent traîner par l’animal furieux.

Il y eut pendant une minute une lutte horrible de l’intelligence sur la force brutale ; enfin la brute fut vaincue, le cheval s’abattit en manquant des pieds de devant, et tomba en râlant sur le sol.

Au moment de sa chute, le comte enleva dans ses bras la jeune femme, si miraculeusement sauvée, et la porta sur le revers de la route, où il la déposa respectueusement.

La terreur lui avait complètement fait perdre connaissance.

Le comte, devinant que les cavaliers qui arrivaient étaient des parents ou des amis de celle à laquelle il venait de rendre un si grand service, répara le désordre de ses vêtements et attendit leur venue, en couvrant d’un regard d’admiration la jeune femme étendue à ses pieds.

C’était une délicieuse jeune fille, de dix-sept ans à peine, à la taille fine et cambrée, aux traits caractérisés et adorablement beaux ; ses cheveux noirs, longs et soyeux, s’étaient échappés de la résille qui les emprisonnait, et inondaient de leurs boucles parfumées, son visage, où déjà une légère rougeur laissait prévoir un prompt retour à la vie.

Le costume de cette jeune dame, d’une grande richesse et d’une suprême élégance, aurait fait deviner qu’elle était d’un rang élevé, si le cachet d’aristocratie répandu sur toute sa personne, n’avait pas levé tous les doutes à cet égard.

Michel, avec ce sang-froid qui le caractérisait, et dont rien ne le faisait jamais sortir, était demeuré près du cheval, qui, calmé par sa chute et tremblant de tous ses membres, s’était laissé relever sans essayer d’opposer la plus légère résistance ; le Basque, après l’avoir dessanglé, avait arraché une poignée d’herbe à demi flétrie, et s’était mis à le bouchonner à tour de bras, tout en l’admirant et en murmurant par intervalles :

— C’est égal, voilà un noble et bel animal ! C’eût été dommage qu’il eût roulé dans cet effroyable précipice, je suis heureux qu’il soit sauvé.

À la jeune fille, le digne matelot n’y songeait pas le moins du monde, tout son intérêt était concentré sur le cheval.

Lorsqu’il eut terminé de le bouchonner, il le ressangla, lui remit les harnais, et le conduisit auprès du comte.

— Là ! dit-il, d’un air satisfait, maintenant il est calmé ; pauvre bête, un enfant le conduirait avec une corde.

Cependant les cavaliers approchaient rapidement, et bientôt ils arrivèrent auprès des deux marins français.