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solide dont il avait profité ; les récits de voyages dont il faisait sa lecture favorite avaient enflammé son imagination ; toutes ses pensées se tournaient vers l’Amérique où, au dire des marins, l’or abondait, et il n’avait plus qu’un désir : aborder lui aussi à cette terre mystérieuse et prendre sa part de la riche moisson que chacun y récoltait.

Son père et sa mère, surtout, résistèrent longtemps à ses prières. Le vieillard ne comprenait pas, lui qui avait guerroyé pendant tant d’années, que son fils ne fit pas comme lui et préférât la marine à un commandement dans l’armée. La comtesse ne voulait intérieurement voir son fils ni soldat ni marin ; les deux états lui faisaient peur ; elle redoutait pour lui les dangers inconnus des excursions lointaines, et sa tendresse s’alarmait d’une séparation peut-être éternelle.

Cependant, il fallait prendre un parti, et comme le jeune homme s’obstinait dans sa résolution, force fut aux parents de céder et de consentir à ce qu’il voulait, quelles que dussent être dans l’avenir les conséquences de cette détermination.

Le comte avait conservé quelques vieux amis à la cour, le duc de Bellegarde entres autres, qui jouissait d’une grande privauté près du roi Louis XIII, surnommé le Juste de son vivant, parce qu’il était né sous le signe de la Balance.

M. de Barmont avait aussi été lié autrefois avec le duc d’Épernon, créé en 1587 amiral de France, mais il répugnait à s’adresser à lui à cause des bruits qui avaient couru lors de l’assassinat du roi Henri IV. Cependant, dans un cas aussi urgent que celui qui se présentait, le comte comprit que, dans l’intérêt de son fils, il devait faire taire ses sentiments particuliers, et, en même temps qu’il adressait une lettre au duc de Bellegarde, il en expédiait une autre au duc d’Épernon, qui à cette époque était gouverneur de la Guyenne.

La double réponse que le duc attendait ne se fit pas attendre ; les deux vieux amis de M. de Barmont ne l’avaient pas oublié, ils s’étaient empressés d’user de leur crédit pour le servir.

Le duc d’Épernon surtout, mieux placé, à cause de son titre d’amiral, pour être utile au jeune homme, écrivait qu’il se chargeait avec joie du soin de le pousser dans le monde.

On était au commencement de l’année 1631 ; Ludovic de Barmont avait alors quinze ans révolus.

D’une taille élevée, l’air fier et hautain, doué d’une rare vigueur et d’une grande agilité, le jeune homme paraissait plus âgé qu’il ne l’était en réalité. Ce fut avec la joie la plus vive qu’il apprit que ses souhaits étaient exaucés et que rien ne s’opposait plus à ce qu’il embrassât la carrière maritime.

La lettre du duc d’Épernon renfermait la prière au comte de Barmont de lui envoyer son fils le plus tôt possible, à Bordeaux, afin qu’il s’occupât sans retard de le placer à bord d’un bâtiment de guerre pour lui faire commencer son apprentissage de marin.

Deux jours après la réception de cette lettre, le jeune homme s’arrachait avec peine aux embrassements de sa mère, faisait des adieux respectueux