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poir de s’y refaire, grâce à la guerre, une position meilleure, que par admiration pour ce prince, dont peut-être il avait deviné le génie. Brave soldat, mais jeune, bouillant et fort bien fait de sa personne, le comte avait eu nombre d’aventures galantes, une entre autres avec une dame de la ville de Cahors, fiancée à un seigneur espagnol fort riche, qu’il avait réussi à enlever à celui qu’elle devait épouser la veille même du jour marqué pour le mariage. L’Espagnol, fort chatouilleux sur le point d’honneur, trouva cette plaisanterie de mauvais goût et demanda satisfaction au comte ; celui-ci lui donna deux coups d’épée et le laissa pour mort sur la place. Cette affaire eut un grand retentissement et fit beaucoup d’honneur au comte parmi les raffinés ; cependant, contre la croyance générale, l’Espagnol avait guéri de ses blessures. Les deux gentilshommes se battirent de nouveau ; cette fois le comte maltraita tellement son adversaire que, bon gré mal gré, celui-ci fut contraint à renoncer à une nouvelle rencontre. Cette aventure dégoûta le comte de la galanterie, non pas qu’il redoutât pour lui les suites de la haine que son adversaire, le duc de Peñaflor lui avait jurée, car jamais depuis il n’en eut de nouvelles, mais parce que sa conscience lui reprochait d’avoir, pour un caprice presque aussitôt passé que satisfait, brisé le bonheur d’un galant homme, et qu’il éprouvait de véritables remords de sa conduite en cette circonstance.

Après avoir bravement combattu aux côtés du roi pendant toutes ses guerres, le comte s’était enfin retiré dans ses terres, vers l’an 1610, après la mort de ce prince, dégoûté de la cour et sentant le besoin du repos après tant de fatigues.

Là, quatre ou cinq ans plus tard, ennuyé de la solitude dans laquelle il vivait et peut-être dans l’espoir de chasser de sa mémoire un souvenir importun qui, malgré le temps écoulé, ne cessait de le tourmenter, le comte avait pris le parti de se marier et avait épousé une jeune fille appartenant à une des meilleures familles de la province, douce, charmante, mais aussi pauvre qu’il l’était lui-même ; ce qui fut loin d’apporter l’aisance dans cette maison dont la position se faisait de jour en jour plus difficile.

Cependant cette union fut heureuse ; en 1616 la comtesse accoucha d’un fils qui devint aussitôt la joie de ce pauvre foyer.

Ce fils était le comte Ludovic dont nous avons entrepris de raconter l’histoire.

Malgré sa tendresse pour son enfant, le comte l’éleva cependant sévèrement, voulant en faire un rude, brave et loyal gentilhomme comme lui.

Le jeune Ludovic sentit de bonne heure, en découvrant combien de misères cachées recélait le faste apparent de sa famille, le besoin de se créer une position indépendante qui lui permît, non seulement de ne plus être à charge à des parents qu’il chérissait et qui sacrifiaient pour lui le plus clair de leur revenu, mais encore de relever l’éclat éclipsé du nom qu’il portait.

Contrairement à la coutume suivie par ses ancêtres, qui tous avaient servi le roi dans les armées, ce fut vers la marine que ses goûts l’entraînèrent.

Grâce aux soins assidus d’un vieux et digne prêtre, qui par attachement pour sa famille s’était fait son gouverneur, il avait reçu une instruction