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en riant, et mes précautions sont prises, vous allez voir : sous un prétexte facile à trouver nous passerons par Toulon ; arrivés là, nous séjournerons une heure ou deux dans une auberge que je connais. Vous vous déguiserez en moine mendiant et vous sortirez de l’auberge sans être remarqué. J’aurai soin d’éloigner ceux des gardes dont je ne suis pas sûr. Vous vous rendrez sur le port muni de papiers que je vous remettrai, vous vous embarquerez sur un charmant chasse-marée appelé la Mouette, que j’ai frété à votre intention et qui vous attend. Le patron vous reconnaîtra à un mot de passe que je vous dirai, et vous serez libre d’aller où vous voudrez. Ce plan n’est-il pas bien simple, monsieur le comte, fit-il en se frottant joyeusement les mains, et n’ai-je pas tout prévu ?

— Non, mon ami, répondit le comte avec émotion en lui tendant la main ; il y a une chose que vous n’avez pas prévue.

— Laquelle donc, monsieur le comte ? fit-il avec étonnement.

— C’est que je ne peux pas fuir ! répondit le jeune homme en secouant tristement la tête.


IV

L’ÎLE SAINTE-MARGUERITE

À cette réponse, à laquelle il était si loin de s’attendre, le digne recors fit un geste de surprise et regarda le comte comme s’il ne l’avait pas bien compris.

Le gentilhomme sourit doucement.

— Cela vous étonne, n’est-ce pas ? dit-il.

— Je l’avoue, monsieur le comte, balbutia l’autre avec embarras.

Le comte continua :

— Oui, dit-il, je comprends que cela vous paraisse étrange que je refuse d’accepter vos propositions généreuses. Cela ne se voit pas souvent, un prisonnier auquel on offre la liberté et qui s’obstine à demeurer captif. Je vous dois une explication de cette conduite extraordinaire ; cette explication, je veux vous la donner sans retard, afin que vous n’insistiez plus auprès de moi et que vous me laissiez agir à ma guise.

— Je ne suis que le plus humble de vos serviteurs, monsieur le comte ; mieux que moi sans doute, vous savez la conduite que vous devez tenir en cette circonstance ; vous n’avez donc aucun besoin de la motiver vis-à-vis de moi.

— C’est justement parce que vous êtes un vieux serviteur de ma famille, François Bouillot, que vous me donnez en ce moment une preuve d’un dévouement sans bornes, que je me crois obligé à vous faire connaître les motifs de ce refus qui a tant de raisons de vous surprendre. Écoutez-moi donc.