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effort sur lui-même et adoucissant l’expression un peu dure de son regard :

— C’est à cause de vous seule que je suis venu, madame, répondit-il en s’inclinant avec politesse, j’aurai l’honneur de me mettre à vos ordres dans un instant ; permettez-moi seulement, je vous prie, d’assurer le calme de notre entretien.

Doña Clara baissa la tête et retourna s’asseoir au chevet du blessé.

Les aventuriers avançaient toujours, ils ne furent plus bientôt qu’à une dizaine de pas des Espagnols dont ce fâcheux voisinage ne faisait qu’augmenter l’épouvante.

— Holà, frères ! cria Montbars d’une voix puissante, halte ! s’il vous plaît.

Instantanément les flibustiers restèrent immobiles.

— Vous autres, continua l’amiral en s’adressant aux soldats, jetez vos armes si vous ne voulez être immédiatement fusillés.

Toutes les lances et toutes les épées des soldats tombèrent à terre à la fois avec un ensemble qui témoignait de leur désir de voir cette menace ne pas être mise à exécution.

— Rendez votre épée, monsieur, dit Montbars au comte.

— Jamais ! s’écria celui-ci en faisant bondir son cheval et s’élançant l’épée haute sur le boucanier dont il n’était éloigné que de trois ou quatre pas au plus.

Au même instant un coup de fusil fut tiré, et la lame de l’épée, frappée à un pouce de la poignée, fut brisée en éclats ; le comte se trouva désarmé. Par un mouvement brusque, tout en saisissant d’une main le cheval par la bride, Montbars enleva de l’autre le comte de la selle et le renversa sur le sol.

— Patatras ! fit en riant le Poletais tout en rechargeant son fusil, quelle diable d’idée aussi de vouloir seul tenir tête à cinq cents hommes.

Le comte s’était relevé tout confus de sa chute ; une pâleur livide couvrait son visage, ses traits étaient contractés par la colère ; tout à coup ses regards tombèrent sur la comtesse.

— Ah ! s’écria-t-il avec un rugissement de tigre en s’élançant vers elle, au moins je me vengerai !

Mais Montbars le saisit par le bras et l’obligea à demeurer immobile.

— Un mot, un geste, et je vous brûle la cervelle comme à une bête féroce que vous êtes ! lui dit-il.

Il y avait un tel accent de menace dans les paroles du flibustier, son intervention avait été si rapide, que le comte, dominé malgré lui, fit un pas en arrière en croisant ses bras sur la poitrine et demeura calme en apparence, bien qu’un volcan grondât dans son cœur, et que son regard demeurât opiniâtrement fixé sur la comtesse.

Montbars considéra un instant son ennemi avec une expression de tristesse et de dédain.

— Monsieur, lui dit-il enfin avec ironie, vous avez voulu vous mesurer avec les flibustiers, vous apprendrez à vos dépens ce qu’il en coûte ; pendant que, poussé par un fou désir de vengeance, inspiré par une imaginaire jalousie, vous vous acharniez à poursuivre une femme dont vous êtes indigne d’apprécier le noble cœur et les éclatantes vertus, la moitié de l’île dont vous