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Tous ces hommes étaient armés ; il était facile, du reste, de les reconnaître pour des gardes du roi ou plutôt de Monsieur le Cardinal.

Seuls, deux d’entre eux, à la mine sournoise et chafouine et aux regards louches, vêtus de noir comme des huissiers, n’avaient pas d’armes apparentes ; ceux-ci, selon toute probabilité, étaient plus à craindre que les autres, car sous leur obséquiosité féline, ils cachaient sans doute une volonté implacable de faire le mal.

L’un de ces deux hommes tenait quelques papiers de la main droite ; il fit deux ou trois pas en avant, jeta un regard soupçonneux autour de lui, et se découvrant respectueusement :

— Au nom du roi, messieurs ! dit-il d’une voix brève et tranchante.

— Que voulez-vous ? demanda le comte de Barmont en s’avançant résolument vers lui.

À ce mouvement, qu’il prit pour une démonstration hostile, l’homme noir recula vivement avec un geste de frayeur mal dissimulé ; mais, se sentant appuyé par ses acolytes, il reprit aussitôt son sang-froid et répondit avec un sourire de mauvais augure.

— Ah ! ah ! monsieur le comte Ludovic de Barmont, je crois ? fit-il avec un salut ironique.

— Au fait, monsieur ; au fait ! reprit le gentilhomme avec hauteur. Je suis effectivement le comte de Barmont.

— Capitaine des vaisseaux du roi, continua imperturbablement l’homme noir ; commandant pour le présent la frégate de Sa Majesté l’Érigone ?

— Je vous ai dit, monsieur, que je suis celui que vous cherchez, reprit le comte.

— C’est effectivement à vous que j’ai affaire, monsieur le comte, répondit-il en se redressant. Cordieu ! mon gentilhomme, vous n’êtes pas facile à atteindre ; voici huit jours que je cours après vous, je désespérais presque d’avoir l’honneur de vous rencontrer.

Tout cela fut dit d’un air obséquieux, d’une voix mielleuse et avec un sourire doucereux à faire damner un saint et, à plus forte raison, celui auquel ce singulier homme s’adressait et qui était doué d’un caractère rien moins qu’endurant.

— Vive Dieu ! s’écria-t-il en frappant du pied avec colère, aurez-vous bientôt fini, mon maître ?

— Patience, mon gentilhomme, répondit-il du même ton placide, patience ! mon Dieu que vous êtes vif ! Puis, jetant les yeux sur les papiers qu’il tenait à la main : Donc, puisque, de votre aveu même, vous reconnaissez être bien le comte Ludovic de Barmont, capitaine commandant la frégate de Sa Majesté l’Érigone, en vertu des ordres dont je suis porteur, au nom du roi, je vous arrête pour crime de désertion, ayant sans autorisation abandonné votre bâtiment en pays étranger, c’est-à-dire dans le port de Lisbonne en Portugal. Puis, relevant la tête et fixant ses yeux louches sur le gentilhomme : Rendez-moi votre épée, monsieur le comte, ajouta-t-il.

M. de Barmont haussa dédaigneusement les épaules.

— L’épée d’un gentilhomme de ma race ne sera jamais remise aux mains