Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les boucaniers, laissant leurs hôtes libres d’employer le temps comme bon leur semblerait, s’occupèrent alors activement à préparer leurs peaux.

Plusieurs heures s’écoulèrent ainsi.

Vers trois heures de l’après-midi, un chien donna un éclat de voix et se tut.

Nous avons oublié de dire qu’après le repas, sur un signe de l’engagé, les bonnes bêtes étaient retournées à leur poste.

Les deux boucaniers échangèrent un regard.

— Un ! dit l’Olonnais.

— Deux ! répondit presque aussitôt le Poletais à un second éclat de voix parti dans une direction différente.

Bientôt, comme un courant électrique, les appels des chiens se succédèrent avec une rapidité extrême, partant de toutes les directions.

Cependant, rien en apparence ne venait justifier ces avertissements donnés par les sentinelles ; aucun bruit suspect ne se faisait entendre, la savane paraissait plongée dans la solitude la plus complète.

— Pardon, caballero, dit don Sancho au Poletais qui continuait son travail avec la même ardeur tout en riant sournoisement avec son compagnon, me permettez-vous de vous adresser une question ?

— Adressez toujours, mon gentilhomme, il est parfois bon d’interroger ; d’ailleurs, si cette question ne me convient pas, je serai libre de ne pas y répondre, n’est-ce pas ?

— Oh ! parfaitement.

— Alors parlez sans crainte, je vous écoute.

— Depuis quelques minutes vos chiens semblent vous donner des signaux, à ce que je suppose du moins.

— Vous supposez juste, caballero, ce sont effectivement des signaux.

— Et y aurait-il indiscrétion à vous demander ce que signifient ces signaux ?

— Pas le moins du monde, señor, d’autant plus qu’ils vous intéressent presque autant que nous.

— Je ne vous comprends pas.

— Vous allez me comprendre ; ces signaux signifient que la savane est en ce moment envahie par plusieurs cinquantaines qui manœuvrent pour nous cerner.

— Diablos ! s’écria le jeune homme avec un bond de surprise, et cela ne vous émeut pas davantage ?

— Pourquoi prendre du souci à l’avance ? mon compagnon et moi nous avions un travail pressé, qu’il nous fallait terminer ; maintenant, voilà qui est fini, nous allons songer aux señores.

— Mais il est impossible que nous résistions à tant d’ennemis !

— Ah ! ah ! avez-vous réellement envie d’en découdre ?

— Pardieu ! ma sœur et moi nous courons un aussi grand danger que vous au moins, seulement nous n’avons pas un instant à perdre pour essayer de fuir.

— Fuir ? dit le boucanier en ricanant ; allons donc ! vous voulez rire, mon