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du traitement de toutes espèces de plaies, il réussit parfaitement, et fray Arsenio s’endormit d’un sommeil réparateur.

Pendant ce temps-là l’Olonnais avait remis à doña Clara la lettre que Montbars lui avait confiée pour elle, et la jeune femme s’était retirée un peu à l’écart pour la lire.

— Tiens, tiens, tiens, dit gaiement l’Olonnais en frappant sur l’épaule du mayordomo, voilà ce que j’appelle un garçon sensé, il a songé au solide ; le déjeuner est prêt.

— S’il en est ainsi, dit le Poletais avec un clignement d’yeux significatif à son compagnon, mangeons en double, car nous aurons avant peu de la besogne.

— Est-ce que nous n’attendons pas le retour du chef indien ? demanda don Sancho.

— Pourquoi faire ? dit en riant l’Olonnais ; ne vous inquiétez pas de lui, mon gentilhomme, il est loin s’il court toujours ; chacun de nous a sa besogne tracée.

— C’est égal, dit le Poletais, vous avez eu le nez diablement fin, señor, de vous rendre aussi vite à notre invitation.

— Pourquoi donc cela ?

— Vous le saurez bientôt ; mais, croyez-moi, prenez des forces, mangez.

En ce moment doña Clara vint se joindre à la société ; son maintien était plus ferme et son visage presque riant.

Le couvert fut bientôt dressé, des feuilles servirent d’assiettes ; on se mit à table, c’est-à-dire qu’on s’assit en rond par terre et l’on attaqua bravement les vivres.

Don Sancho avait repris toute sa gaieté, cette vie lui paraissait charmante, il riait comme un fou en mangeant de bon appétit ; doña Clara elle-même, malgré ses préoccupations intérieures, faisait honneur à ce festin improvisé.

— Holà ! mes bellots, avait dit le Poletais à ses chiens, sus ! sus ! pas de paresse, allez surveiller les environs, pendant que nous déjeunerons ; on vous gardera votre part.

Les chiens s’étaient alors levés avec un ensemble admirable et, tournant le dos au boucan, ils s’étaient éparpillés dans toutes les directions et n’avaient pas tardé à disparaître.

— Vous avez là d’excellents chiens, dit Sancho.

— Vous vous y connaissez, vous autres Espagnols, répondit le boucanier d’un air narquois.

Le gentilhomme sentit l’épigramme et ne jugea pas à propos d’insister. En effet, c’est à Saint-Domingue que les Espagnols inaugurèrent l’affreuse coutume de dresser des molosses à la chasse aux Indiens et à s’en servir comme auxiliaires dans leurs guerres.

Le déjeuner se termina sans nouvel incident digne de remarque, la plus franche cordialité ne cessa de régner pendant tout le repas.

Lorsque les maîtres eurent fini, ce fut le tour des domestiques, c’est-à-dire que l’Olonnais siffla les chiens qui en un instant se trouvèrent réunis autour de lui, et il leur distribua leur pitance par portions égales.