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— Où donc ? demanda Birbomono.

— Là, tenez, devant vous.

Le mayordomo plaça sa main au-dessus de ses yeux afin de concentrer les rayons visuels et regarda attentivement.

— Vive Dios ! s’écria-t-il au bout d’un instant, c’est un homme.

— Un homme ?

— Ma foi oui, Seigneurie, et autant que je le puis distinguer à cette distance, c’est un Caraïbe bravo.

— Diable ! et que fait-il là, sur ce monticule ?

— C’est ce dont il nous sera facile de nous assurer dans un instant, s’il ne juge pas convenable, toutefois, de nous fausser compagnie.

— Allons donc, alors, au nom du Ciel !

— Mon frère, objecta doña Clara, à quoi bon allonger notre route lorsque nous sommes si pressés ?

— C’est vrai, dit le jeune homme.

— Rassurez-vous, señora, reprit le mayordomo, ce monticule se trouve juste sur la route qu’il nous faut suivre, nous ne pouvons faire autrement que de passer là.

Doña Clara baissa la tête sans répondre et on repartit, car pendant cet échange de paroles, les cavaliers s’étaient arrêtés.

Ils atteignirent bientôt le monticule qu’ils gravirent au galop.

Le Caraïbe n’avait pas quitté la place, mais les cavaliers s’arrêtèrent frappés de stupeur, en reconnaissant qu’il n’était pas seul.

L’Indien, agenouillé sur le sol, paraissait prodiguer des soins à un homme étendu près de lui, et qui commençait à reprendre connaissance.

— Fray Arsenio ! s’écria doña Clara à la vue de cet homme. Mon Dieu ! il est mort !

— Non, répondit l’Indien d’une voix douce, en se tournant vers elle, mais il a été bien horriblement torturé.

— Torturé, lui ? s’écrièrent les assistants.

— Regardez ses mains, reprit le Caraïbe.

Les Espagnols poussèrent un cri d’horreur et de pitié à la vue des pouces sanglants et tuméfiés du pauvre moine.

— Oh ! c’est affreux ! murmurèrent-ils avec douleur.

— Misérable ! dit Sancho avec indignation, c’est toi qui l’as mis en cet état !

— Le Visage-Pâle est fou, dit-il, mes frères ne torturent pas les chefs de la prière, ils les respectent ; ce sont des Blancs comme lui qui lui ont infligé cet atroce supplice.

— Expliquez-vous, au nom du Ciel, reprit doña Clara. Comment se fait-il que ce digne religieux se trouve ici et dans un état aussi pitoyable ?

— Mieux vaut le laisser s’expliquer lui-même lorsqu’il aura repris connaissance. O-mo-poua ne sait que peu de chose, objecta le Caraïbe.

— C’est vrai, répondit doña Clara en mettant pied à terre et s’agenouillant auprès du blessé. Pauvre homme ! quelle affreuse souffrance il doit endurer !

— Ne pouvez-vous donc rien nous dire ? demanda don Sancho.

— Presque rien, répondit le chef, voici tout ce que je sais.