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immobiles, embusqués derrière les arbres, se contentant de répondre tant bien que mal chaque demi-heure au cri d’appel, mais ne se risquant pas à s’écarter de quelques pas seulement de l’abri qu’ils avaient choisi, pour sonder les ténèbres.

Les raisons de cette apparente couardise étaient simples ; bien que déjà nous les ayons expliquées, nous les répéterons pour plus de clarté.

Dans les premiers temps du débarquement des boucaniers à Saint-Domingue, les cinquantaines que les gouverneur envoyaient à leur poursuite étaient armées de mousquets ; mais après plusieurs rencontres avec les Français, rencontres où ceux-ci les avaient effroyablement battus, leur terreur des aventuriers était devenue tellement grande que, dès qu’on les envoyait en expédition contre ces hommes qu’ils considéraient presque comme des démons, aussitôt qu’ils entraient soit dans les forêts, soit dans les défilés des montagnes ou même dans les savanes où ils pouvaient supposer que les boucaniers étaient embusqués, ils commençaient à décharger leurs armes à tort et à travers dans le but de donner l’éveil à leurs ennemis et de les engager à s’éloigner.

Il était résulté de cette habile manœuvre que les aventuriers avertis décampaient en effet, et devenaient ainsi insaisissables ; le gouverneur, s’apercevant de ce résultat, finit par en deviner la cause ; alors, pour éviter que pareil fait se renouvelât à l’avenir, il avait retiré les mousquets aux soldats et les avait remplacés par des lances ; changement, hâtons-nous de le constater, qui n’avait été nullement du goût de ces braves militaires qui par là voyaient leur ruse déjouée et se trouvaient de nouveau exposés aux coups de leurs formidables ennemis.

Ce fut presque sans être obligés de prendre d’autre précaution que celle de marcher sans bruit et de ne pas parler, que le mayordomo et les deux personnes auxquelles il servait de guide parvinrent à quitter le hatto en passant par le côté opposé à celui où les cinquantaines avaient établi leur bivouac.

Une fois la ligne des sentinelles traversée, les fugitifs marchèrent d’un pas plus pressé et ne tardèrent pas à atteindre un fourré au milieu duquel trois chevaux complètement harnachés étaient si bien cachés, qu’à moins de les savoir là, il était bien réellement impossible de les découvrir ; pour plus grande précaution et afin de les empêcher de hennir, le mayordomo leur avait lié une corde autour des naseaux.

Dès que les trois cavaliers furent en selle, avant que départir, Birbomono se tourna vers don Sancho :

— Où allons-nous, Seigneurie ? demanda-t-il.

— Vous savez où les boucaniers que nous avons rencontrés aujourd’hui ont établi leur campement ? répondit le jeune homme.

— Oui, Seigneurie.

— Croyez-vous réussir à retrouver ce campement au milieu des ténèbres ?

Le mayordomo sourit.

— Rien de plus facile, dit-il.

— Alors, conduisez-nous auprès de ces hommes.