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En arrivant dans le saguan, le comte se trouva face à face avec le mayordomo. Le señor Birbomono avait une physionomie inquiète qui n’échappa pas à don Sancho, cependant il continua à s’avancer en feignant de ne pas l’avoir aperçu. M

ais le mayordomo vint droit à lui.

— Je suis heureux de vous rencontrer, Seigneurie, dit-il. Si d’ici à dix minutes vous n’étiez pas venu, j’aurais été frapper à la porte de votre appartement.

— Ah ! fit don Sancho, et quel motif si pressant vous poussait à une telle démarche ?

— Votre Seigneurie sait ce qui se passe ? reprit le mayordomo, sans paraître remarquer le ton ironique du jeune homme.

— Bah ! il se passe donc quelque chose ?

— Votre Seigneurie ne le sait pas ?

— Probablement, puisque je vous le demande ; après cela, comme cette confidence m’intéresse sans doute fort peu, libre à vous de ne pas me la faire.

— Au contraire, Seigneurie, elle vous intéresse comme tous les habitants du hatto.

— Ah ! ah ! qu’y a-t-il donc ?

— Il paraît que le commandant des deux cinquantaines a mis des sentinelles tout autour du hatto.

— Bon, nous ne craindrons pas d’être attaqués par les boucaniers, dont vous avez si grand’peur ; alors, j’en ferai mon compliment au commandant.

— Vous êtes libre d’agir ainsi, Seigneurie, mais cela vous sera difficile.

— Pourquoi donc ?

— Parce que ordre est donné de laisser pénétrer tout le monde dans le hatto, mais de n’en laisser sortir personne.

Un frisson courut dans les veines du jeune homme à cette parole ; il pâlit affreusement, mais faisant un effort sur lui-même :

— Bah ! reprit-il d’un ton léger, cette consigne ne peut me regarder, moi.

— Pardonnez-moi, Seigneurie, elle est générale.

— Ainsi, vous croyez que si je voulais sortir ?…

— On vous en empêcherait.

— Diable ! ceci est assez contrariant, non que j’aie l’intention de sortir, mais comme par caractère j’aime assez à faire ce qu’on me défend…

— Vous feriez volontiers une promenade, n’est-ce pas, Seigneurie ?

Don Sancho regarda Birbornono, comme s’il eût voulu lire sa pensée au fond de son cœur.

— Et si telle était mon intention ? dit-il enfin.

— Je me chargerais de vous faire sortir.

— Vous ?

— Moi. Ne suis-je pas le mayordomo du hatto ?

— C’est vrai, la défense n’est pas pour vous, alors ?

— Pour moi comme pour les autres, Seigneurie, mais les soldats ne connaissent pas le hatto comme je le connais ; je leur glisserai entre les mains lorsque cela me plaira.