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Tous les habitants furent ensuite convoqués sur la grande place et Belle-Tête, monté sur une estrade préparée à cet effet, les instruisit des déterminations prises dans le conseil à bord du lougre, de sa nomination au poste de gouverneur, des mesures qu’il avait cru devoir prendre dans l’intérêt général, et il leur demanda leur approbation.

Approbation que les habitants refusèrent d’autant moins, qu’ils se trouvaient en présence de faits accomplis et que ces faits n’avaient rien de froissant pour eux.

Le gouverneur, voyant ainsi son mandat sanctionné, engagea les habitants à nommer un conseil de sept membres pris dans leur sein, proposition qu’ils acceptèrent avec joie, supposant avec raison que ces conseillers se chargeraient de défendre leurs intérêts.

Les sept conseillers municipaux furent donc élus sans désemparer et vinrent immédiatement, sur l’invitation du gouverneur, prendre place à ses côtés sur l’estrade.

Alors celui-ci annonça à la foule que rien n’était changé dans la colonie, qui toujours serait gouvernée d’après les lois en vigueur parmi les flibustiers, que chacun continuerait à vivre avec la même liberté que par le passé, que les mesures prises ne l’avaient été que dans le but de sauvegarder les intérêts de tous, mais nullement dans l’intention de vexer les colons et de les soumettre à un joug humiliant.

Cette dernière assurance produisit le meilleur effet sur la foule et le gouverneur se retira au milieu des vivats et des protestations les plus chaleureuses de dévouement.

Bien qu’il se fût obstiné à demeurer dans l’ombre, c’était à Montbars lui seul que toutes ces améliorations étaient dues ; Belle-Tête n’avait été dans ses mains qu’un agent passif et soumis.

Lorsque l’amiral vit les choses au point où il les désirait, il résolut de partir ; en effet, après avoir eu un dernier entretien avec le gouverneur, il se mit à la tête de ses flibustiers et quitta la ville.

Michel le Basque était parti plusieurs heures auparavant, chargé d’une mission secrète et accompagné de quatre-vingt-dix hommes résolus.

Dès lors l’expédition était réellement commencée. Quel en serait le résultat ? c’est ce que nul ne pouvait prévoir.


XXVIII

LA FUITE DU HATTO

Sans même prendre le temps de jeter un coup d’œil sur les lettres qu’on lui avait remises, don Sancho les cacha dans son pourpoint et se rendit en toute hâte à l’appartement de sa sœur.

Celle-ci l’attendait avec anxiété.

— Enfin te voilà, mon frère ! s’écria-t-elle en l’apercevant.