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quels je dépends, faites-moi conduire près d’eux, livrez-moi à leur justice : si j’ai commis quelque faute ils me puniront, car à eux seuls appartient le droit de me condamner ou de m’absoudre.

Le comte avait écouté cette longue réponse du moine en se mordant les lèvres avec dépit et en frappant du pied avec colère. Il ne croyait pas trouver chez cet homme une si rude résistance.

— C’est ainsi ! s’écria-t-il, lorsque enfin fray Arsenio se tut, vous refusez de me répondre ?

— Je refuse, monseigneur, dit-il froidement, parce que vous n’avez pas qualité pour m’interroger.

— Seulement vous oubliez, señor padre, que si je n’ai pas le droit, j’ai la force ; en ce moment, du moins.

— Libre à vous, monseigneur, d’abuser de cette force contre un malheureux sans défense ; je ne suis pas homme de guerre, la douleur physique me fait peur ; je ne sais comment j’endurerai les tortures que peut-être vous m’infligerez, mais il y a une chose dont je suis certain.

— Laquelle, s’il vous plaît, señor padre ?

— C’est que je mourrai, monseigneur, avant que de répondre à une de vos questions.

— C’est ce que nous verrons, fit-il avec un accent railleur, si vous me contraignez à recourir à la violence.

— Vous le verrez donc, reprit-il d’une voix douce mais ferme, qui dénotait une résolution irrévocable.

— Pour la dernière fois, je consens à vous avertir ; prenez garde, réfléchissez.

— Toutes mes réflexions sont faites, monseigneur, je suis en votre pouvoir, abusez de ma faiblesse comme bon vous semblera, je n’essayerai même pas une défense inutile ; je ne serai pas le premier religieux de mon ordre qui sera tombé martyr du devoir, d’autres m’ont précédé et d’autres sans doute me suivront dans cette voie douloureuse.

Le comte frappa du pied avec colère. Les assistants, muets et immobiles, échangeaient entre eux des regards atterrés ; ils prévoyaient que cette scène allait bientôt avoir un dénouement terrible entre ces deux hommes dont ni l’un ni l’autre ne voulait faire de concessions et dont le premier, aveuglé par la rage, ne serait plus bientôt en état d’obéir aux salutaires conseils de la raison.

— Monseigneur, murmura don Antonio de la Ronda, les étoiles commencent à pâlir dans le ciel, le jour ne tardera pas à se lever, nous sommes loin du hatto encore ; ne vaudrait-il pas mieux nous remettre en route sans plus tarder ?

— Silence ! répondit le comte avec un sourire de mépris ; Pedro, ajouta-t-il en s’adressant à un de ses domestiques, une mèche.

Le valet mit pied à terre et s’avança, une longue mèche soufrée à la main.

— Les deux pouces, dit laconiquement le comte.

Le domestique s’approcha du moine ; celui-ci lui tendit les mains sans hésiter, bien que son visage fût d’une pâleur effrayante et que tout son corps frissonnât.