Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh ! señores, s’écria-t-il d’une voix tremblante d’émotion, que signifie cela ? Ai-je donc affaire à des ladrones ?

— Bon, bon, tranquillez-vous, señor padre, répondit une voix rude, qu’il crut reconnaître, nous ne sommes pas des ladrones, mais bien des Espagnols comme vous, et rien ne pouvait nous faire plus de plaisir que de vous rencontrer en ce moment.

— Je suis charmé de ce que vous me dites, caballero, j’avoue que tout d’abord la brusquerie de vos manières m’avait fort inquiété, mais maintenant je suis complètement rassuré.

— Tant mieux, reprit l’inconnu avec ironie, d’autant plus que j’ai à causer avec vous.

— Causer avec moi, señor ? fit-il avec étonnement. L’endroit et l’heure sont mal choisis pour un entretien, il me semble ; si vous voulez attendre jusqu’au hatto, dès mon arrivée je me mettrai à votre disposition.

— Trêve de verbiage et descendez de cheval, répondit rudement l’inconnu, si vous ne préférez que je vous fasse descendre, moi.

Le moine jeta un regard effrayé autour de lui : les cavaliers le fixaient d’un air sombre, ils ne semblaient nullement disposés à lui venir en aide.

Fray Arsenio, par état et par complexion, était tout le contraire d’un homme brave ; la façon dont débutait cette aventure commençait à l’effrayer sérieusement ; il ne savait pas encore entre les mains de quels individus il était tombé, mais tout lui faisait supposer que ces individus, quels qu’ils fussent, n’étaient pas animés de bons sentiments à son égard.

Cependant, toute résistance était impossible, il se résigna à obéir ; mais ce ne fut pas sans exhaler un soupir de regret à l’adresse du Caraïbe, dont il avait méprisé le conseil, cependant si judicieux, qu’il descendit enfin de cheval et se plaça en face de son sévère interlocuteur.

— Allumez une torche, dit l’étrange cavalier, je veux que cet homme me reconnaisse, que sachant qui je suis, il comprenne qu’il n’a aucun faux-fuyant à employer vis-à-vis de moi et que la franchise seule le peut sauver du sort qui le menace.

Le moine comprenait de moins en moins ; de bonne foi, il se croyait en proie à un cauchemar horrible.

Cependant, sur l’ordre du cavalier, un des hommes de sa suite avait allumé une torche en bois d’ocote.

Aussitôt que la flamme se projeta sur les traits de l’étranger et éclaira son visage, le moine fit un bond de surprise et joignant les mains en même temps que les traits de son visage se rassérénaient presque subitement :

— Dieu soit loué ! s’écria-t-il avec un accent de béatitude impossible à rendre ; est-il possible que ce soit vous, señor don Stenio de Bejar ! j’étais si loin de croire avoir cette nuit le bonheur de vous rencontrer, señor conde, que, sur ma foi, je ne vous ai pas reconnu et j’ai presque eu peur.

Le comte, car c’était lui effectivement que le moine avait si malencontreusement rencontré, ne répondit pas tout d’abord et se contenta de sourire.

Don Stenio de Bejar, parti de Santo-Domingo à franc étrier pour se rendre au hatto del Rincon, afin de s’assurer de la vérité des renseignements donnés