Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Moi-même, monsieur le duc de Peñaflor, répondit l’étranger avec une exquise politesse, vous ne m’attendiez pas, il me semble ?

Et, faisant quelques pas dans l’intérieur de la chambre pendant que les deux matelots qui l’avaient suivi gardaient la porte, il remit son chapeau sur sa tête et, se croisant les bras :

— Que se passe-t-il donc ici ? dit-il d’une voix fière ; et qui ose violenter madame la comtesse de Barmont ?

— La comtesse de Barmont, fit le duc avec mépris.

— C’est vrai, reprit-il ironiquement, j’oubliais que vous attendez d’un moment à l’autre, de la cour de Rome un acte qui déclare mon mariage nul et qui permettra de donner votre fille à l’homme dont le crédit vous a fait nommer vice-roi de la Nouvelle-Espagne.

— Monsieur ! s’écria le duc.

— Eh quoi ! me serais-je trompé ? Non, non, monsieur le duc, mes espions sont aussi bons que les vôtres, je suis bien servi, croyez-le ; mais cette indignité ne s’accomplira pas ! grâce à Dieu, je suis arrivé à temps pour l’empêcher ! Place ! fit-il en repoussant d’un geste les deux gentilshommes qui s’opposaient à son passage. Je suis votre mari, madame ; suivez-moi, je saurai vous protéger.

Les deux jeunes gens, abandonnant leur sœur à demie évanouie, s’élancèrent sur le comte et tous deux le frappèrent de leur gant au visage en tirant leur épée.

Le comte, sous cette insulte cruelle, pâlit affreusement ; il poussa un rugissement de bête fauve et dégaina.

Les domestiques, tenus en respect par les deux matelots, n’avaient pas fait un mouvement.

Le duc se précipita entre les trois hommes prêts à en venir aux mains.

— Comte, dit-il froidement au plus jeune de ses fils, laissez à votre frère le soin de châtier cet homme.

— Merci, mon père, répondit l’aîné en se mettant en garde, pendant que son puîné rabaissait la pointe de son épée et faisait un pas en arrière.

Doña Clara gisait étendue sans mouvement sur le sol.

Du premier coup, les deux ennemis engagèrent le fer jusqu’à la garde, puis, comme d’un commun accord, ils firent chacun un pas de retraite.

Il y avait quelque chose de sinistre dans l’aspect qu’offrait cette chambre d’auberge en ce moment.

Cette femme qui râlait sur le parquet en proie à une crise nerveuse sans que nul ne songeât à la secourir.

Ce vieillard, les sourcils froncés, les traits crispés par la douleur, assistant impassible, en apparence, au combat de son fils aîné contre son gendre, tandis que son plus jeune fils se mordait les lèvres de colère de ne pouvoir venir en aide à son frère ; ces matelots, le pistolet sur la gorge des domestiques pâles de terreur ; et, au milieu de la salle à peine éclairée par quelques chandelles fumeuses, ces deux hommes, l’épée à la main, l’œil dans l’œil, guettant comme deux tigres le moment de s’entr’égorger.


Le combat ne fut pas long : trop de haine animait les adversaires pour