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Les premiers boucaniers furent des Espagnols établis sur les îles des Antilles, qui avaient eu des rapports suivis avec les Indiens ; aussi lorsqu’ils s’adonnèrent à la chasse, s’accoutumèrent-ils, sans y songer, à se donner à eux-mêmes ces noms indiens, caractéristiques du reste et qu’on aurait difficilement remplacés par d’autres.

Les boucaniers ne faisaient point d’autre métier que de chasser ; ils se divisaient en deux espèces, les premiers ne chassaient que les taureaux pour en avoir le cuir, les seconds les sangliers pour en avoir la viande qu’ils salaient et vendaient aux habitants.

Ces deux espèces de boucaniers avaient à peu près le même équipage et la même manière de vivre.

Les véritables boucaniers étaient ceux qui poursuivaient les taureaux, ils ne nommaient jamais les autres autrement que chasseurs.

Leur équipage se composait d’une meute de vingt-cinq chiens braques, dans laquelle ils avaient deux venteurs chargés de découvrir l’animal ; le prix de ces chiens, réglé entre eux, était de trente livres.

Ainsi que nous l’avons dit, leur arme était un long fusil fabriqué à Dieppe ou à Nantes ; ils ne chassaient jamais que deux ensemble au moins, quelquefois plus, et alors tout était commun entre eux ; au fur et à mesure que nous avancerons dans l’histoire de ces hommes singuliers, nous entrerons dans des détails plus circonstanciés sur leur manière de vivre et leurs coutumes étranges.

Lorsque don Sancho et le mayordomo les avaient quittés, le Poletais et l’Olonnais avaient longtemps suivi d’un regard moqueur la course des deux Espagnols, puis ils s’étaient remis à la construction de leur ajoupa et à l’installation de leur boucan, comme si rien n’était arrivé. Dès que le boucan fut installé, le feu allumé, la viande posée sur les barbacoas, l’Olonnais se mit en devoir de brocheter le cuir qu’il avait apporté tandis que le Poletais en faisait autant à celui du taureau tué par lui une heure auparavant.

Il étendit le cuir sur le sol, le dedans de la peau en dessus, il l’attacha au moyen de soixante-quatre chevilles plantées en terre, puis il le frotta vigoureusement avec de la cendre et du sel mélangés afin qu’il séchât plus vite.

Ce devoir accompli, il s’occupa du souper ; les apprêts n’en furent ni longs ni compliqués : un morceau de viande avait été mis dans une petite chaudière avec de l’eau et du sel ; comme cette chaudière avait été placée au feu dès qu’il avait été allumé, la viande ne tarda pas à être cuite ; l’Olonnais la retira de la marmite au moyen d’une longue baguette pointue et il la posa sur une tâche de palmier en guise de plat ; ensuite il ramassa la graisse avec une cuiller de bois et la jeta dans une calebasse. Sur cette graisse il exprima le jus d’un citron, mit un peu de piment, remua le tout, et la sauce, cette fameuse pimentade, si chère aux boucaniers, se trouva faite. Alors, ayant placé la viande dans une belle place devant l’ajoupa, la calebasse à côté, il appela le Poletais, et les deux hommes, s’asseyant en face l’un de l’autre, s’armèrent de leur couteau et d’une brochette de bois au lieu de fourchette et commencèrent à manger de bon appétit, trempant soigneusement chaque bouchée de viande dans la pimentade, et entourés de leurs chiens qui, sans oser rien demander,