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Tortue. Combinons nos mouvements, frères, de façon à ce que nos trois attaques soient simultanées et que les Espagnols, surpris sur trois points à la fois, ne puissent se porter mutuellement secours. Demain vous remettrez sous voile, messieurs, emmenant avec vous cent quatre-vingt-cinq hommes, ce qui, je le crois, est plus que suffisant pour surprendre Leogane. Quant à toi, Vent-en-Panne, avec les quinze hommes qui te resteront, tu garderas le lougre et tu demeureras ici en ayant soin de bien surveiller la Tortue. Nous sommes au cinq du mois, frères : le quinze on attaquera, dix jours suffisent pour que chacun de nous soit rendu à son poste et que toutes les mesures soient prises. Maintenant, messieurs, retournez sur vos navires et envoyez à terre, sous les ordres d’officiers, tous les contingents que je dois emmener.

Les deux capitaines saluèrent l’amiral, quittèrent la cabine et regagnèrent leur bord.

— Quant à vous, ajouta Montbars, en se tournant vers le Poletais, voici, frère, ce que vous ferez : vous vous rendrez avec l’Olonnais dans le Grand-Fond comme si vous chassiez, seulement vous surveillerez avec soin le bourg de San-Juan et le hatto del Rincon ; il faut s’assurer, si cela est possible, des habitants de ce hatto ; ils sont riches, influents, leur capture peut avoir pour nous une certaine importance ; vous vous entendrez avec O-mo-poua au sujet des auxiliaires qu’il nous doit amener. Peut-être ne serait-il pas mauvais que le chef essayât d’attirer les Espagnols sur ses traces et les contraignît à quitter leurs positions ; nous pourrions alors, en nous y prenant bien, les battre en détail ; m’avez-vous compris, frère ?

— Pardieu ! répondit le Poletais, à moins d’être un niais ! Soyez tranquille, je manœuvrerai en conséquence.

Montbars se tourna alors vers l’Olonnais et lui fit un signe.

L’engagé s’approcha.

— Rends-toi à terre avec le Caraïbe et le Poletais, lui dit l’amiral en se penchant à son oreille, regarde tout, écoute tout, surveille tout ; tu m’entends. Dans une heure, par l’entremise de Vent-en-Panne, tu recevras une lettre, il faut que tu la remettes en mains propres à doña Clara de Bejar ; elle habite un hatto dans le Grand-Fond.

— C’est facile, répondit l’Olonnais, je la lui remettrai, s’il le faut, au milieu de tous ses domestiques, dans son hatto même.

— Garde-t’en bien ; arrange-toi de façon à ce qu’elle vienne te la demander où tu seras.

— Diable ! c’est plus difficile, cela, cependant je tâcherai d’y réussir.

— Il faut que tu réussisses.

— Ah ! Eh bien ! alors, foi d’homme, vous y pouvez compter. Je ne sais pas comment je ferai, par exemple.

Le Poletais s’était levé.

— Adieu, frère, dit-il ; lorsque demain vous débarquerez, je serai déjà en route pour le Grand-Fond ; ce n’est donc que là que nous nous rencontrerons de nouveau, mais soyez sans inquiétude, vous trouverez tout en ordre en arrivant. Ah ! à propos, emmènerai-je avec moi mon corps de boucaniers auxiliaires ?