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bras pour travailler, depuis la presque extinction de la race indigène de l’île, ils abandonnent peu à peu les anciens établissements, et se retirent vers l’est.

— Fort bien, dit Montbars, voilà bien tout ce que vous désirez ?

— Oui, tout, répondit le Poletais.

— Maintenant, que nous proposez-vous, frère ?

— Ceci : nous autres boucaniers, nous chasserons pour vous les taureaux sauvages et les sangliers, et approvisionnerons vos navires, à un prix débattu entre nous, et qui ne pourra jamais être plus élevé que la moitié du prix que nous demanderons aux navires étrangers qui viendront commercer avec nous ; en sus, nous vous défendrons lorsque vous serez attaqués, et pour les grandes expéditions, vous aurez le droit de réclamer un homme sur cinq pour vous accompagner, lorsque vous en aurez besoin. Les habitants cultiveront la terre ; ils vous fourniront les légumes, le tabac et les bois de construction pour radouber vos navires, aux mêmes conditions faites pour les vivres. Voilà ce que je suis chargé de vous proposer, frères, au nom des habitants et des boucaniers français de Saint-Domingue. Si ces conditions vous plaisent, et je les crois justes et équitables, acceptez-les, vous n’aurez pas à vous repentir d’avoir traité avec nous.

Ces propositions, les flibustiers les connaissaient déjà, ils en avaient entre eux débattu les avantages, aussi ne demeurèrent-ils pas longtemps à délibérer : leur parti était pris d’avance, leur présence au Port-Margot en était la preuve.

— Nous acceptons vos propositions, frère, répondit Montbars, voici ma main au nom des flibustiers que je représente.

— Et voici la mienne, répondit le Poletais, au nom des habitants et des boucaniers.

Il n’y eut pas d’autre traité que cette étreinte loyale entre les aventuriers ; ainsi fut conclue cette alliance qui, jusqu’au dernier soupir de la boucanerie, demeura aussi franche et aussi vivace que le premier entre les aventuriers.

— Maintenant, reprit Montbars, procédons par ordre ; combien avez-vous de frères en état de combattre ?

— Soixante-dix, répondit le Poletais.

— Fort bien, nous y ajouterons cent trente hommes des équipages de la flotte, ce qui nous donnera un effectif de deux cent bons fusils. Et vous, chef, que pouvez-vous faire pour nous ?

O-mo-poua était jusqu’à ce moment demeuré silencieux, écoutant ce qui se disait avec le décorum et la gravité indiens et attendant patiemment que son tour de parler arrivât.

— O-mo-poua joindra deux cents guerriers caraïbes aux longs fusils des Visages-Pâles, répondit-il ; ses fils sont prévenus, ils attendent l’ordre du chef, l’Olonnais les a vus.

— Bien, ces quatre cents hommes seront commandés par moi ; comme cette expédition est la plus difficile et la plus périlleuse, je m’en charge ; Michel le Basque m’accompagnera ; j’ai à bord un guide qui nous conduira jusqu’au Grand-Fond. Vous, Williams Drack, et vous, David, vous attaquerez Leogane avec vos navires ; Vent-en-Panne, avec quinze hommes seulement, s’emparera de la