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projets, un point facile à rendre inexpugnable. Nos amis et moi, nous sommes mis à l’œuvre : longtemps nous avons cherché avec la persévérance d’hommes résolus à réussir ; Dieu a daigné enfin bénir nos efforts : ce refuge, nous l’avons trouvé dans les conditions les plus heureuses.

Ici, Montbars fit une pause de quelques secondes.

Un frémissement électrique courait dans les rangs des aventuriers ; leurs yeux lançaient des éclairs, ils froissaient leurs fusils dans leurs mains nerveuses, comme s’ils eussent été impatients de commencer la lutte qui leur était promise.

Un sourire de satisfaction éclaira un instant le visage pâle de l’amiral, puis faisant un geste pour réclamer l’attention :

— Frères, reprit-il, devant nous est Saint-Domingue, et il étendit la main vers la mer ; Saint-Domingue ! la plus belle et la plus riche de toutes les îles possédées par l’Espagne. Sur cette île, plusieurs de nos frères, échappés au massacre de Saint-Christophe, se sont établis et luttent énergiquement contre les Espagnols pour se maintenir sur le territoire conquis par eux. Malheureusement, trop peu nombreux, malgré leur courage, pour résister longtemps aux troupes ennemies, bientôt ils seraient contraints d’abandonner l’île, si nous ne venions pas à leur secours. Ils nous ont appelés ; nous avons répondu à cet appel de nos frères, que l’honneur nous ordonnait de secourir à l’heure du danger ; tout en faisant une bonne action, nous exécutons le projet longtemps mûri par nous, et nous trouvons enfin ce point inexpugnable si longtemps cherché ! Vous connaissez tous l’île de la Tortue, frères ? Séparée seulement par un étroit chenal de Saint-Domingue, elle s’élève comme une sentinelle avancée au milieu de la mer. C’est le nid d’aigle d’où nous braverons en riant la rage des Espagnols. À l’île de la Tortue, frères !

— À l’île de la Tortue ! s’écrièrent les aventuriers en brandissant leurs armes avec enthousiasme.

— Bien ! reprit Montbars ; je savais que vous étiez hommes à me comprendre, et que je pouvais compter sur vous. Mais avant de nous emparer de la Tortue, défendue seulement par une garnison insignifiante d’une vingtaine de soldats qui fuiront au premier choc, il nous faut, en protégeant nos frères de Saint-Domingue et en leur assurant le territoire dont ils se sont emparés, nous conserver des ports utiles, des débouchés avantageux, et surtout les moyens de nuire facilement aux Espagnols, et, s’il est possible, de les chasser entièrement de l’île dont déjà ils ont perdu une partie. Demain, nous nous rendrons au Port-Margot ; là, nous nous entendrons avec nos frères, et nous combinerons nos plans de façon à retirer de notre expédition honneur et profit. Maintenant, frères, que chaque équipage retourne à son bord ; demain au lever du soleil, nous appareillerons pour le Port-Margot, et, d’ici quelques jours, je vous promets de beaux combats et un riche butin à partager entre tous. Vive la France et mort à l’Espagne !

— Vive la France ! mort à l’Espagne ! vive Montbars ! s’écrièrent les aventuriers.

— Embarquons, frères ! reprit Montbars ; n’oubliez pas surtout que les