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équipage ; les autres capitaines l’imitèrent ; il ne resta à bord que le nombre d’hommes strictement nécessaire à la garde des bâtiments.

Sur un signe de l’amiral, les équipages se rangèrent en demi-cercle autour de lui, les capitaines en avant de la première ligne.

Derrière eux se tenaient les Caraïbes, intérieurement inquiets de ce débarquement formidable dont ils ne devinaient pas les motifs, attendant avec anxiété ce qui allait se passer, et ne comprenant rien à ce déploiement de forces.

Montbars, tenant d’une main la hampe d’un pavillon blanc, dont les larges plis agités par la brise flottaient au-dessus de sa tête, et de l’autre sa longue épée, jeta un regard circulaire sur les hommes qui l’entouraient.

À peine vêtus pour la plupart, mais tous bien armés, le teint hâlé, les membres vigoureux, les muscles saillants, les traits énergiques, le regard hautain, les aventuriers ainsi rangés autour de cet homme qui se tenait fièrement campé devant eux, la tête rejetée en arrière, la lèvre frémissante et l’œil altier, les aventuriers offraient, disons-nous, un aspect saisissant, dont la sauvage grandeur et l’âpre rudesse ne manquait pas d’une certaine majesté, rendue plus imposante encore par le paysage primitif qui formait le fond du tableau, et la multitude bariolée des Indiens, dont les visages inquiets et les poses caractéristiques ajoutaient encore à l’effet de cette scène.

Pendant quelque temps, on entendit, comme le bruit de la mer se brisant sur les galets, le sombre frémissement de cette foule ; puis peu à peu le bruit s’éteignit, et un silence profond régna sur la plage.

Montbars fit alors un pas en avant, et d’une voix ferme et sonore, dont les mâles accent captivèrent bientôt tous ces hommes qui écoutaient avidement ses paroles, il leur révéla le but, jusque-là ignoré par eux, de l’expédition.

— Frères de la Côte, dit-il, matelots et amis, le moment est venu de vous révéler ce que j’attends de votre courage et de votre dévouement à la cause commune. Vous n’êtes pas des mercenaires qui, pour une paye modique, se font tuer comme des brutes, sans savoir pourquoi ni pour qui ils se battent. Non ! vous êtes tous des gens de cœur, des natures d’élite, qui voulez connaître vers quel but vous marchez et quel bénéfice vous retirerez de vos efforts. Plusieurs de nos plus renommés compagnons et moi, nous avons résolu d’attaquer jusqu’au sein de leurs plus riches possessions, ces lâches Espagnols qui ont cru nous déshonorer en nous flétrissant du nom de ladrones, et que la vue seule de nos plus petites pirogues met en fuite comme une troupe de mouettes épeurées. Mais pour que notre vengeance soit certaine, pour que nous parvenions à nous emparer des richesses de nos ennemis, il nous faut posséder un point assez rapproché du centre de nos opérations, pour que nous puissions fondre sur eux à l’improviste, assez fort pour que toute la puissance castillane s’y vienne briser en efforts impuissants. Saint-Christophe est trop éloigné ; d’ailleurs, la descente de l’amiral don Fernand de Tolède est pour nous la preuve que, si braves que nous soyons, nous ne parviendrons jamais à nous y fortifier assez solidement pour y braver la rage de nos ennemis. Il fallait donc absolument trouver un endroit plus favorable à nos