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hommes comme moi, les espions, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, ne se laissent entraîner que par une passion, celle de l’or.

— Mais ce que vous me dites là est impossible ! reprit le comte avec agitation.

— Qui vous empêche de vous assurer que je dis vrai, monseigneur ?

— Ainsi ferai-je, vive Dios ! s’écria-t-il en frappant du pied avec fureur.

Puis, s’approchant de l’espion calme et immobile au milieu de la chambre, et plongeant son regard dans le sien avec une expression de rage impossible à rendre :

— Écoute, drôle ! reprit-il d’une voix sourde et brisée par la colère ; si tu as menti, tu mourras !

— J’accepte, monseigneur ! répondit froidement l’espion ; mais si j’ai dit vrai ?

— Si tu as dit vrai ?… s’écria-t-il ; mais se remettant aussitôt : Mais non, c’est impossible, je le répète ! Et voyant un fugitif sourire errer sur les lèvres de son interlocuteur : Eh bien ! soit, si tu as dit vrai, toi-même tu fixeras ta récompense, et quelle qu’elle soit, sur ma foi de gentilhomme, tu l’auras !

— Merci, monseigneur, répondit-il en s’inclinant ; je reçois votre parole.

Le comte marcha pendant quelques minutes à grands pas dans le salon, en proie à une vive agitation, semblant avoir complètement oublié la présence de l’espion, murmurant des paroles entrecoupées, faisant des gestes de colère, et, selon toute probabilité, roulant dans sa tête de sinistres projets de vengeance ; enfin, il s’arrêta, et s’adressant de nouveau à l’espion :

— Retire-toi, dit-il, mais ne quitte pas le palais, ou plutôt attends. Et saisissant une sonnette sur la table, il l’agita violemment.

Un valet parut.

— Un sous-officier et quatre soldats ! dit-il.

L’espion haussa les épaules.

— À quoi bon toutes ces précautions, monseigneur ? dit-il ; n’est-il pas, au contraire, de mon intérêt de ne pas m’éloigner ?

Le comte l’examina un instant avec attention ; puis, renvoyant le valet du geste :

— Soit, dit-il ; je me fie à vous, don Antonio de la Ronda. Attendez mes ordres, bientôt j’aurai besoin de vous.

— Je ne m’éloignerai pas, monseigneur.

Et après s’être respectueusement incliné, il prit enfin congé et se retira.

Demeuré seul, le comte s’abandonna pendant quelques instants à toute la violence de sa rage si longtemps contenue ; mais, peu à peu, il reprit son sang-froid, la raison lui revint.

— Oh ! je me vengerai ! s’écria-t-il.

Alors, avec une fiévreuse activité, il donna les ordres nécessaires pour que des troupes nombreuses fussent expédiées sur différents points, de façon à complètement investir le hatto del Rincon, vers lequel furent expédiées deux cinquantaines, commandées par des officiers résolus et expérimentés.

Ces mesures prises, les troupes parties, une heure après le coucher du soleil, le comte, enveloppé d’un épais manteau, monta à cheval, et, suivi de