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L’espion tressaillit de plaisir.

— Oh ! ce n’est pas tout encore, monseigneur, répondit-il avec un sourire d’intelligence.

— Qu’y a-t-il donc encore ? reprit le comte ; je croyais que vous n’aviez plus rien à m’apprendre ?

— C’est selon, Excellence. J’ai fait mon rapport officiel au gouverneur général de Hispaniola, c’est vrai, rapport fort détaillé même, dans lequel je n’ai rien oublié de ce qui pouvait l’aider à défendre l’île confiée à ses soins.

— Eh bien ?

— Eh bien ! monseigneur, il me reste maintenant à donner, s’il le désire, toutefois, au comte de Bejar certains renseignements qui, je le crois, l’intéresseront.

Le comte fixa sur cet homme un regard investigateur, comme s’il eût voulu lire jusqu’au fond de son âme.

— Au comte de Bejar ? dit-il avec une froideur calculée, que pouvez-vous avoir à lui dire qui l’intéresse, lui particulièrement ? Comme simple gentilhomme je n’ai, que je sache, rien à démêler avec les ladrones.

— Peut-être, monseigneur ; du reste, je ne parlerai que si Votre Excellence me l’ordonne, et encore, avant de m’expliquer, je la prierai de me pardonner ce qu’il pourra y avoir de blessant pour son honneur dans ce que je lui dirai.

Le comte pâlit, ses sourcils se froncèrent.

— Prenez garde, lui dit-il d’une voix sombre, prenez garde de dépasser le but, et, en voulant trop prouver, de tomber dans l’excès contraire ; l’honneur de mon nom n’est pas de ceux dont on se joue, et jamais je n’y laisserai imprimer la moindre tache.

— Je n’ai aucunement l’intention de blesser Votre Excellence, monseigneur, mon zèle seul pour votre service m’a engagé à parler ainsi que je l’ai fait.

— Soit, je veux bien le croire ;, cependant l’honneur de mon nom me regardant seul, je ne reconnais à personne le droit d’y toucher, même dans une bonne intention.

— Monseigneur, j’en demande pardon à Votre Excellence, mais je me suis sans doute mal expliqué : ce que j’ai à vous apprendre ne se rapporte qu’à un complot tramé, à son insu, sans nul doute, contre Mme la comtesse.

— Un complot tramé contre la comtesse ! s’écria don Stenio avec violence. Que voulez-vous dire, señor ? expliquez-vous sans retard, je l’exige !

— Monseigneur, puisqu’il en est ainsi, je parlerai. Mme la comtesse ne se trouve-t-elle pas en ce moment aux environs de la petite ville de San-Juan ?

— En effet ; mais comment le savez-vous, puisque, d’après ce que vous m’avez dit, vous n’êtes arrivé que depuis quelques heures à Santo-Domingo ?

— Je le présume, parce que, à bord du navire sur lequel je suis revenu à Hispaniola, j’ai entendu parler d’une entrevue que le principal chef des aventuriers devait avoir d’ici à quelques jours aux environs de l’Artibonite.

— Oh ! s’écria le comte, vous mentez, misérable !

— Dans quel intérêt, monseigneur ? répondit froidement l’espion.

— Que sais-je ? par haine, par envie, peut-être ?

— Moi ! fit-il en haussant les épaules. Allons donc, monseigneur ! Les