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— C’est-à-dire, monseigneur, que dans mon dévouement pour le service de Votre Excellence, malgré les dangers sans nombre que j’aurais à courir, je résolus d’aller chercher ces renseignements qu’elle semblait si ardemment désirer, et…

— Et vous êtes allé les chercher ? s’écria en se redressant vivement le comte, qui jusque-là n’avait attaché que fort peu d’attention aux paroles de l’inconnu.

— Mon Dieu ! oui, monseigneur.

— Ah ! ah ! dit-il, en se caressant le menton ; et vous avez appris quelque chose ?

— J’ai appris une foule de choses, monseigneur.

— Tiens, tiens ! voyons donc un peu cela. Seulement, ajouta-t-il en se reprenant, pas de ouï-dire ni de banalités, j’en ai les oreilles farcies.

— Les renseignements que j’aurai l’honneur de donner à Votre Excellence sont puisés à bonne source, monseigneur, puisque, pour me les procurer, je suis allé les chercher jusque dans le repaire de ces ladrones.

Le comte regarda avec admiration cet homme qui n’avait pas craint de s’exposer à un si grand danger.

— S’il en est ainsi, je suis tout oreilles, parlez, señor.

— Monseigneur, reprit l’espion, car nous pouvons lui donner désormais ce nom, j’arrive de Saint-Christophe.

— Eh ! mais, n’est-ce pas dans cette île que se réfugient les bandits ?

— Oui, monseigneur, et qui plus est, je suis revenu sur un de leurs navires.

— Oh ! oh ! fit le gouverneur, contez-moi donc cela, cher don Antonio : car c’est ainsi que vous vous nommez, je crois ?

— Oui, monseigneur, don Antonio de la Ronda.

— Vous voyez, reprit en souriant le comte, que j’ai bonne mémoire parfois, et il appuya sur ces mots d’une façon qui fit tressaillir intérieurement l’espion de joie.

Celui-ci raconta alors de quelle façon il s’était introduit dans l’île, comment il avait été découvert et fait prisonnier par Montbars qui l’avait embarqué sur un de ses navires ; comment une grande expédition avait été décidée par les aventuriers contre l’île de Saint-Domingue d’abord, puis contre celle de la Tortue, que les ladrones avaient le projet de surprendre et sur laquelle ils se voulaient établir ; et de quelle façon, en arrivant au Port-Margot, il avait réussi à s’échapper et s’était hâté de venir apporter ces nouvelles à Son Excellence le gouverneur.

Le comte avait écouté avec la plus sérieuse attention le récit de don Antonio, et au fur et à mesure que celui-ci avançait, le front du gouverneur devenait plus soucieux : en effet, l’espion ne l’avait pas trompé, ces nouvelles étaient de la plus haute gravité.

— Hum ! répondit-il, et il y a longtemps que les ladrones sont arrivés au Port-Margot ?

— Huit jours, Excellence.

Sangre de Christo ! si longtemps déjà et je n’ai pas été prévenu !

— Malgré la plus grande diligence, contraint de prendre les plus extrêmes précautions pour ne pas retomber aux mains des ladrones qui, sans doute, se