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— Alors, allez au diable, vous et votre billet, s’écria le jeune homme avec colère, qu’est-ce que cela me fait à moi que vous le gardiez !

— Allons, allons, ne nous fâchons pas, que diable ! reprit l’Olonnais d’un ton conciliateur, il y a peut-être un moyen d’arranger les choses à la satisfaction générale ; je ne suis pas aussi noir que j’en ai l’air, et j’ai de bonnes intentions, seulement je ne veux pas être pris pour dupe, voilà tout.

Le jeune homme, malgré la répugnance visible que lui inspiraient les aventuriers, n’osait cependant rompre brusquement avec eux ; cette lettre pouvait être fort importante, sa sœur ne lui pardonnerait pas, sans doute, d’avoir, en cette circonstance, agi avec étourderie.

— Voyons, dit-il, parlez, mais faites vite : il est tard, je suis loin du hatto où je veux être de retour avant le coucher du soleil afin de ne pas inquiéter inutilement ma sœur.

— C’est d’un bon frère, répondit l’engagé avec un sourire ironique ; voici ce que je vous propose : dites à la petite dame en question que l’engagé de Montbars est chargé de lui remettre une lettre, et que si elle désire l’avoir, elle n’a qu’à la venir chercher.

— Comment la venir chercher, où cela ?

— Ici, pardieu ! le Poletais et moi nous allons établir un boucan à la place où nous sommes ; nous attendrons cette dame pendant toute la journée de demain, voilà ; il me semble que c’est simple et facile, ce que je vous propose-là.

— Et vous croyez, répondit-il avec ironie, que ma sœur consentira à accepter un tel rendez-vous, donné par un misérable aventurier ? Allons, vous êtes fou !

— Je ne crois rien, je vous fais une proposition que vous êtes libre de refuser ou d’accepter, voilà tout ; quant à la lettre, elle ne l’aura qu’en venant la chercher elle-même.

— Pourquoi ne m’accompagnez-vous pas au hatto ? cela serait encore plus simple, il me semble.

— C’est possible, et c’était d’abord mon intention, mais j’ai changé d’avis ; ainsi, voyez ce que vous voulez faire.

— Ma sœur se respecte trop pour tenter une pareille démarche, je suis certain d’avance qu’elle refusera avec indignation.

— Voire, vous pourriez vous tromper, mon beau galant, fit l’engagé avec un fin sourire, qui sait jamais ce que pensent les femmes !

— Enfin, pour couper court à un entretien qui n’a que trop duré déjà, je lui ferai part de ce que vous m’avez dit ; seulement je ne vous dissimule pas que je la dissuaderai par tous les moyens de venir.

— Vous ferez ce que vous voudrez, cela ne me regarde pas ; mais sachez bien que si sa volonté est de venir, et je le crois, vos raisonnements n’y feront rien.

— Nous verrons.

— Surtout n’oubliez pas de lui dire que cette lettre est de Montbars.

Pendant cet entretien, qui n’avait aucun intérêt pour lui, le Poletais, avec ce flegme et cette insouciance caractéristique des boucaniers, s’occupait à