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— Viens ici, mon fils, reprit le boucanier, je crois que nous avons trouvé ton affaire.

— Ah ! ah ! répondit l’Olonnais toujours invisible, voyons donc cela un peu.

Le jeune comte ne savait que penser de cet incident nouveau qui paraissait devoir changer la face des choses ; il redoutait une grossière plaisanterie de la part de ces hommes à demi sauvages, il hésitait entre se laisser aller à la colère qui bouillonnait au dedans de lui, ou attendre patiemment les suites de cet appel fait par le boucanier ; mais un pressentiment secret le poussait à se contenir et à agir avec prudence, avec ces hommes qui ne semblaient animés d’aucun mauvais dessein contre lui et dont les manières, bien que brusques et rudes, étaient cependant amicales.

En ce moment l’Olonnais parut. Il avait le même costume que le boucanier ; il s’avança rapidement vers celui-ci et, sans s’occuper des deux Espagnols, il lui demanda ce qu’il lui voulait, tout en jetant sur l’herbe une peau de taureau sauvage qu’il portait sur les épaules.

— Ne m’as-tu pas parlé d’un billet que Vent-en-Panne t’a fait passer ce matin, répondit le boucanier, par l’entremise d’O-mo-poua ?

— C’est vrai, le Poletais, je t’en ai parlé, dit-il, d’autant plus qu’il a même été convenu entre nous que toi qui connais le pays, tu me conduirais à la personne à laquelle je dois remettre ce satané chiffon de papier.

— Eh bien ! mon fils, si tu veux, ta commission est faite, reprit le Poletais, en désignant don Sancho du doigt, voici, à ce qu’il dit du moins, le propre frère de la personne en question.

— Bah ! fit l’Olonnais en fixant un regard clair sur le jeune homme, ce beau mignon ?

— Oui, à ce qu’il dit du moins, car tu le sais, les Espagnols sont tellement menteurs, qu’on ne peut jamais se fier à leur parole.

Don Sancho rougit d’indignation.

— Qui vous a donné le droit de douter de la mienne ? s’écria-t-il.

— Rien jusqu’à présent, aussi n’est-ce pas à vous que je m’adresse, je parle en général.

— Ainsi, lui demanda l’Olonnais, vous êtes le frère de doña Clara de Béjar, la maîtresse du hatto del Rincon ?

— Encore une fois, oui, je suis son frère.

— Bon, et comment me le prouverez-vous ?

Le jeune homme haussa les épaules.

— Que m’importe que vous me croyiez ou non ! dit-il.

— C’est possible, mais à moi, il m’importe beaucoup d’en avoir la certitude ; je suis chargé d’un billet pour cette dame et je tiens à m’acquitter convenablement de ma commission.

— Alors remettez-moi ce billet et finissons-en, je le lui porterai moi-même.

— Vous avez trouvé cela tout seul ! fit l’engagé en goguenardant, que je vous donnerai ainsi cette lettre de but en blanc.

Et il éclata d’un gros rire que le Poletais partagea aussitôt.

— Ces Espagnols ne doutent de rien, dit le boucanier.