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« Eh bien ! je chasse ici parce que cela me plaît ; si cela ne vous convient pas, j’en suis fâché, mon beau seigneur.

— Qu’est-ce à dire ? reprit le comte avec hauteur, quel ton osez-vous prendre avec moi ?

— Celui qui me convient, probablement, répondit le boucanier en se redressant vivement, passez votre chemin, beau sire, et croyez un bon conseil : si vous voulez que d’ici cinq minutes votre riche pourpoint ne soit pas rempli d’os malades, ne vous occupez pas plus de moi que je ne m’occupe de vous et laissez-moi vaquer à mes occupations.

— Il n’en sera pas ainsi, répondit le jeune homme avec violence ; la terre que vous foulez si impertinemment appartient à ma sœur, doña Clara de Bejar ; je ne souffrirai pas qu’elle soit impudemment envahie par des vauriens de votre espèce. Vive Dios ! vous déguerpirez, et cela tout de suite, mon maître, ou sinon…

— Sinon ? dit le boucanier dont l’œil lança un éclair, tandis que le mayordomo, pressentant une catastrophe, se glissait prudemment derrière son maître.

Quant à celui-ci, il était demeuré froid et impassible devant le boucanier, résolu à prendre vigoureusement l’offensive s’il lui voyait faire le moindre geste suspect. Mais, contre toute prévision, le regard menaçant de l’aventurier redevint presque subitement calme, ses traits reprirent leur expression habituelle d’insouciance et ce fut d’un ton presque amical malgré sa rudesse qu’il reprit :

— Eh ! eh ! quel nom avez-vous donc prononcé, s’il vous plaît ?

— Celui de la propriétaire de cette savane.

— Apparemment, dit en riant l’aventurier ; mais quel est-il, ce nom ? répétez-le, je vous prie.

— Qu’à cela ne tienne, mon maître, dit le jeune homme avec dédain, car il lui sembla comprendre que son adversaire reculait devant la querelle soulevée entre eux : le nom que j’ai prononcé est celui de doña Clara de Bejar y Sousa…

Et cœtera, fit en riant le boucanier, ces diables de Gavachos ont des noms pour chaque jour de l’année ! Allons, ne nous fâchons pas, mon jeune coq, ajouta-t-il en remarquant la rougeur que l’expression dont il s’était servi avait étendue sur le visage du comte ; nous sommes peut-être plus près de nous entendre que vous ne le supposez. Que gagneriez-vous dans un combat contre moi ? Rien, et vous pourriez, au contraire, beaucoup y perdre.

— Je ne comprends pas vos paroles, répondit sèchement le jeune homme, mais j’espère que vous me les allez expliquer.

— Ce ne sera pas long, vous allez voir, fit l’autre toujours goguenard, et, se tournant vers la forêt en portant ses mains à sa bouche en forme de porte-voix :

« Hé ! l’Olonnais ! cria-t-il.

— Holà ! répondit aussitôt un homme que l’épaisseur de la forêt dans laquelle il se tenait caché rendait invisible.