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un des voyageurs pour la soutenir et s’approcha de dame Tiphaine qui, compatissante comme toutes les femmes, se hâta de lui rendre le service qu’elle semblait réclamer d’elle et l’aida à gravir l’escalier un peu roide qui conduisait à la chambre du dais.

Les voyageurs laissèrent le cocher et un domestique à la garde de la voiture qui demeura attelée, et suivirent silencieusement la dame malade.

La chambre du dais, la plus belle de l’auberge, était vaste et meublée avec un certain luxe, un grand feu pétillait dans l’âtre et plusieurs chandelles posées sur des meubles y répandaient une assez vive lumière.

Une porte à demi cachée par la tapisserie communiquait à un cabinet de dégagement qui avait une issue au dehors pour la commodité du service.

Lorsque la dame fut entrée dans la chambre, elle se laissa tomber sur un siège et remercia l’hôtesse d’un signe de tête.

Celle-ci se retira discrètement, étonnée et presque effrayée par les visages sombres des personnes au milieu desquelles elle se trouvait.

— Jésus, Marie ! dit-elle à maître Pilvois, qu’elle rencontra se promenant tout soucieux dans le corridor, que va-t-il se passer ici ? Ces hommes me font peur. Cette dame est toute tremblante, et le peu que j’ai aperçu de son visage sous son masque, est blanc comme un linge.

— Hélas ! soupira maître Pilvois, je suis aussi épeuré que vous, ma mie, mais nous n’y pouvons rien ; ce sont de trop grands seigneurs pour nous, des amis de Son Éminence ; ils nous broieraient sans pitié. Nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de nous retirer dans notre chambre ainsi que nous en avons reçu l’ordre, et de nous tenir cois jusqu’à ce qu’ils réclament nos services ; la maison est à eux, en ce moment ils sont les maîtres.

L’hôtelier et sa femme rentrèrent chez eux, et non contents de fermer la porte à double tour, ils la barricadèrent avec tout ce qui leur tomba sous la main.

Ainsi que l’avait dit maître Pilvois à sa femme, les voyageurs étaient bien les maîtres de l’auberge de la Cour de France, ou du moins ils le croyaient.

L’étranger, tout en feignant la plus profonde indifférence, avait suivi du coin de l’œil tous les mouvements de l’hôtelier ; dès que celui-ci eut quitté la cuisine pour aller ouvrir aux voyageurs, il se leva, jeta une bourse pleine d’or aux cuisiniers en posant un doigt sur sa bouche pour leur recommander le silence et, s’enveloppant avec soin dans son manteau, il sortit de la cuisine.

Les valets de l’aubergiste, avec cette intelligence qui caractérise leur caste, comprirent que cette action de l’étranger cachait certains projets à l’exécution desquels il était de leur intérêt de ne pas se mêler ; ils se partagèrent l’argent si généreusement donné, et se rappelant les ordres qu’ils avaient reçus de leur maître, ils décampèrent au plus vite et allèrent sournoisement se blottir dans leurs lits.

L’étranger, pendant que l’aubergiste recevait les voyageurs, s’était enfoncé au plus profond du jardin.

Arrivé près de la petite porte dont nous avons parlé, il siffla doucement.

Presque aussitôt deux hommes semblèrent surgir du milieu des ténèbres et se présentèrent à lui.