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de madame votre sœur et mon maître ; c’est un gentilhomme peu causeur de sa nature, mais bon et sincèrement attaché à sa femme, dont il s’applique à faire toutes les volontés, la laissant entièrement libre de vivre à sa guise, sans jamais se permettre la moindre observation à ce sujet. À Santo-Domingo, madame la comtesse vivait dans la retraite la plus absolue, constamment retirée dans ses appartements intérieurs, où ne pénétraient que ses femmes, son confesseur et son médecin. M. le comte la venait visiter tous les matins et tous les soirs, demeurait environ un quart d’heure avec elle, causant de choses indifférentes, puis il se retirait.

— Hum ! cette existence de ma chère sœur me semble assez monotone. Dura-t-elle longtemps ?

— Pendant plusieurs mois, Excellence, et sans doute elle durerait encore sans un événement que nul, excepté moi, ne sait, et qui l’engagea à se rendre ici.

— Ah ! ah ! et quel est cet événement, s’il vous plaît ?

— Le voici, Excellence : un jour un navire de notre nation arriva à Santo-Domingo ; il avait, pendant son passage à travers les îles, été attaqué par les ladrones, auxquels il avait échappé par miracle, en s’emparant de plusieurs d’entre eux.

— Ah ! je vous arrête ici, s’écria le comte en se redressant subitement ; avant que d’aller plus loin, un mot à propos de ces ladrones dont on parle sans cesse et que personne ne connaît. Savez-vous qui ils sont, vous ?

— Certes, je le sais, Excellence.

— Enfin, reprit le comte tout joyeux, j’ai donc rencontré ce que je voulais ! Puisque vous le savez, vous allez me le dire, n’est-ce pas ?

— Je ne demande pas mieux, Excellence.

— Allez, je vous écoute.

— Oh ! ce ne sera pas long, Excellence.

— Tant pis.

— Mais je crois que cela sera intéressant.

— Tant mieux alors, dites vite.

— Ces ladrones sont des aventuriers français et anglais, dont le courage dépasse tout ce qu’on en saurait dire. Embusqués au milieu des rochers aux débouquements des îles, sur le passage de nos vaisseaux, car ils ont juré une guerre d’extermination à notre nation, ils s’élancent, montés sur de mauvaises pirogues à demi remplies d’eau, sautent à bord du navire qu’ils ont surpris, s’en emparent et l’emmènent avec eux. Les dégâts causés par ces ladrones à notre marine sont immenses ; tout navire attaqué par eux, à de rares exceptions près, peut être considéré comme perdu.

— Diable ! diable ! ceci est fort sérieux. Et on n’a rien fait pour débarrasser les mers de ces effrontés pirates ?

— Pardonnez-moi, Excellence, don Fernando de Tolède, amiral de la flotte, saccagea, sur l’ordre du roi, l’île Saint-Christophe, refuge des ladrones, enleva ceux qu’il put saisir et ne laissa pas pierre sur pierre de la colonie qu’ils avaient fondée.