Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mayordomo, qui connaissait le caractère altier du comte, hésitait ; il ne comprenait rien à cette singulière condescendance de sa part.

— Asseyez-vous donc, reprit le jeune homme, nous sommes à la campagne, cela ne tirera pas à conséquence ; d’ailleurs, j’ai à causer avec vous.

Le mayordomo s’inclina et prit, sans se défendre davantage, la place qui lui était indiquée.

Le repas fut court, le comte mangea sans prononcer un mot ; lorsqu’il eut terminé, il repoussa son tranchoir, but un verre d’eau, selon la coutume espagnole, alluma un excellent cigare et en donnant un semblable au mayordomo :

— Fumez, je le permets, lui dit-il.

Birbomono accepta avec reconnaissance ; mais de plus en plus étonné, il ne put s’empêcher de se demander, intérieurement, quel motif si important avait son jeune maître pour se montrer si gracieux envers lui.

Le couvert enlevé, les esclaves retirés, les portes closes, les deux hommes demeurèrent seuls.

La nuit était magnifique, l’atmosphère d’une limpidité extrême ; une multitude d’étoiles nageaient dans l’éther, un air doux et tiède pénétrait par les larges fenêtres laissées ouvertes exprès, un silence profond régnait dans la campagne, et, de l’endroit où ils étaient placés, les deux hommes apercevaient la masse sombre des arbres de la forêt qui fermait l’horizon.

— Maintenant, dit le comte en lançant un flot de fumée bleuâtre, causons.

— Causons, soit, Excellence, répondit le mayordomo.

— J’ai plusieurs choses à vous demander, Birbomono ; vous me connaissez, n’est-ce pas, vous savez que, promesses ou menaces j’accomplis tout ce que je dis ?

— Je le sais, Excellence.

— Bien, ceci posé, je viens au fait sans plus de préambules. J’ai certains renseignements fort importants à vous demander ; répondre à mes questions n’est point trahir votre maîtresse qui est ma sœur et que j’aime par-dessus tout, c’est peut-être lui rendre un service indirect ; d’ailleurs, ce que vous refuseriez de me dire, je ne tarderais pas à l’apprendre d’un autre côté et vous perdriez, par conséquent, à mes yeux, le bénéfice de la franchise ; vous me comprenez bien, je suppose.

— Parfaitement, Excellence.

— Alors que comptez-vous faire ?

— Monseigneur, je suis dévoué corps et âme à votre famille, je me ferai donc un devoir de répondre de mon mieux à toutes les questions que vous daignerez m’adresser, convaincu qu’en m’interrogeant, vous n’avez d’autre motif que celui d’être agréable à ma maîtresse.

— On ne peut mieux raisonner, Birbomono ; j’ai toujours dit que vous étiez un homme intelligent : cette réponse me prouve que je ne me suis pas trompé. Or, je commence, mais procédons par ordre, et d’abord instruisez-moi de ce qui s’est passé entre ma sœur et son mari, jusqu’à son arrivée ici, et les motifs qui lui ont fait quitter Santo-Domingo.

— Vous connaissez, Excellence, M. le comte de Bejar y Sousa, mari