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lui était accordée par sa sœur et qui le dispensait de renouer un entretien qui n’avait aucun charme pour lui.

— C’est bien, dit-il à l’esclave, présentez mes hommages à ma sœur et donnez l’ordre qu’on me serve à souper ici ; vous prierez en même temps le mayordomo de me venir trouver, j’ai à causer avec lui ; allez.

L’esclave sortit et le laissa seul.

Alors le jeune comte se renversa sur le dossier de son fauteuil, allongea les jambes et se plongea, non pas dans une rêverie quelconque, mais dans cet état de somnolence qui n’est ni la veille ni le sommeil, pendant lequel l’âme semble errer dans des régions inconnues, et que les Espagnols nomment la siesta.

Pendant qu’il était ainsi, les esclaves dressaient la table, en ayant bien soin de ne pas le troubler, et la couvraient de mets exquis.

Mais bientôt le fumet des plats posés devant lui rappela le jeune homme à la réalité ; il se redressa et rapprochant son fauteuil, il se mit à table.

— Pourquoi le mayordomo n’est-il pas venu ? demanda-t-il ; aurait-on négligé de l’avertir ?

— Pardon, Excellence, mais le mayordomo est absent en ce moment, répondit respectueusement un esclave.

— Absent, et pour quel motif ?

— Il fait sa visite de chaque soir autour de l’habitation, mais il ne tardera pas à être de retour ; si Votre Excellence veut être assez bonne pour patienter, bientôt elle le verra.

— Soit, bien que je ne comprenne rien à l’urgence de cette visite ; il n’y a pas de bêtes fauves ici, je suppose.

— Non, Excellence, grâce à Dieu.

— Alors que signifient ces précautions ?

— Elles servent à garantir l’habitation des attaques des ladrones, Excellence.

— Encore les ladrones ! s’écria-t-il en bondissant sur son siège. Ah çà ! mais c’est un pari ! tout le monde semble s’être donné le mot pour me mystifier, Dieu me pardonne !

En ce moment on entendit résonner des éperons sur le sol, en dehors de la salle où se trouvait le jeune homme.

— Voilà le mayordomo, Excellence, dit un des nègres.

— Enfin, c’est bien heureux ! qu’il entre.

Birbomono parut, ôta son chapeau, salua respectueusement le comte et attendit qu’il lui adressât la parole.

— Eh ! arrivez donc, lui dit le jeune homme, voilà plus d’une heure que je vous demande.

— J’en suis désespéré, Excellence, mais c’est à l’instant seulement que j’ai été prévenu.

— Je sais, je sais. Avez-vous dîné ?

— Pas encore, Excellence.

— Eh bien ! mettez-vous là, en face de moi.