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— Alors, répondit maître Pilvois de plus en plus embarrassé, j’ai fait ce que j’ai pu.

— Hum ! C’est-à-dire que vous avez quelqu’un chez vous, n’est-ce pas ?

— Hélas ! oui, monseigneur, répondit l’hôtelier en courbant la tête.

Le voyageur frappa du pied avec colère.

— Sang-Dieu ! s’écria-t-il ; mais, reprenant aussitôt un calme apparent : Quels sont ces gens ? demanda-t-il.

— Il n’y a qu’une seule personne.

— Ah ! fit le voyageur avec satisfaction, s’il n’y a qu’un individu, rien n’est plus facile que de le faire déguerpir.

— Je crains que non, hasarda timidement l’aubergiste : car ce voyageur, que je ne connais pas, je le jure, m’a tout l’air d’un rude gentilhomme et je ne le crois pas disposé à quitter la place.

— Bon, bon, je m’en charge, dit insoucieusement le voyageur. Où est-il ?

— Là, dans la cuisine, monseigneur, se chauffant au feu de l’âtre.

— C’est bien ; la chambre est préparée ?

— Oui, monseigneur.

— Rejoignez ces messieurs et guidez-les vous-même, aucun de vos gens ne doit savoir ce qui va se passer.

L’aubergiste, heureux d’en être quitte à si bon marché, s’inclina respectueusement et se hâta de s’éloigner dans la direction du jardin ; quant au voyageur, après avoir échangé quelques mots à voix basse avec un valet demeuré près de lui, il enfonça son chapeau sur ses yeux, ouvrit la porte et entra résolument dans la cuisine.

Elle était déserte ; l’étranger avait disparu.

Le voyageur jeta un regard soucieux autour de lui ; les valets, selon des ordres probablement reçus de l’hôtelier, s’étaient retirés prudemment dans leurs soupentes.

Après quelques secondes d’hésitation, le voyageur regagna le jardin.

— Eh bien ! lui demanda l’aubergiste, l’avez-vous vu, monseigneur ?

— Non, répondit-il, mais qu’importe ? pas un mot de lui aux personnes qui m’accompagnent ; il sera sans doute parti ; au cas où cela ne serait pas, veillez à ce qu’il ne puisse approcher de l’appartement que vous nous avez destiné.

— Hum ! murmura à part lui l’hôtelier, tout cela n’est pas clair ; et il se retira tout pensif.

Au fond, le brave homme avait peur. Ses hôtes avaient des mines rébarbatives et des manières brusques qui le rassuraient médiocrement, et puis il lui avait semblé entrevoir, à travers les arbres de son jardin, errer des ombres inquiétantes, fait qu’il s’était bien gardé d’approfondir, mais qui ajoutait encore à ses appréhensions secrètes.

Dame Tiphaine, un falot à la main, attendait à la porte de la maison, prête à éclairer les voyageurs et à les conduire à leur appartement ; lorsque le carrosse eut tourné et se fut arrêté, un des voyageurs s’en approcha, ouvrit la portière et aida une dame à descendre.

Cette dame, vêtue avec luxe, paraissait souffrir ; elle marchait avec peine. Cependant, malgré sa faiblesse, elle repoussa d’un geste le bras que lui tendait