Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je n’aurai garde d’y manquer ; d’ailleurs la déférence que je lui montrerai le disposera en ma faveur et avancera d’autant la réussite de nos projets.

— Allons, allons, dit en riant l’aventurier, je vois que tu es un garçon d’esprit et j’ai maintenant bon espoir sur l’issue de ta mission.

L’Olonnais s’arma ainsi que le Caraïbe avait fait avant lui, puis il prit congé de son maître et partit.

— Eh ! murmura Montbars dès qu’il fut seul, je crois que mes projets commencent à prendre un corps et que bientôt je pourrai frapper un grand coup.

Le lendemain, au lever du soleil, une agitation inusitée régnait dans le bourg, cependant jamais bien tranquille, de la Basse-Terre.

Les flibustiers, armés jusqu’aux dents, prenaient congé de leurs amis et se préparaient à se rendre à bord des navires sur lesquels ils s’étaient enrôlés la veille.

La rade était sillonnée dans tous les sens par une quantité prodigieuse de pirogues qui allaient et venaient, transportant des hommes et des vivres pour les navires en partance.

M. le chevalier de Fontenay, entouré d’un nombreux état-major de flibustiers renommés, et ayant auprès de lui Montbars, David, Drack et Michel le Basque, se tenait à l’extrémité du môle en bois servant de débarcadère et de là assistait au départ des aventuriers.

Ces hommes au teint hâlé, aux traits énergiques et féroces, aux membres vigoureux, à peine vêtus d’un simple caleçon de toile et la tête couverte d’un vieux fond de chapeau ou de casquette, mais armés de longs fusils fabriqués à Dieppe expressément pour eux, ayant un lourd coutelas affilé pendu à la ceinture et portant leur provision de poudre et de balles, avaient un aspect étrange et singulièrement redoutable, rendu plus saisissant encore par l’expression d’insouciance et d’indomptable audace répandue sur leurs visages.

On comprenait, en les voyant, la terreur qu’ils devaient inspirer aux Espagnols et les incroyables faits d’armes qu’ils accomplissaient presque en se jouant, ne comptant leur vie pour rien et ne voyant jamais que le but, c’est-à-dire le pillage.

Au fur et à mesure qu’ils défilaient devant le gouverneur et les officiers élus pour les commander, ils les saluaient respectueusement parce qu’ainsi l’exigeait la discipline, mais ce salut n’avait rien de bas ni de servile, c’était celui d’hommes ayant entière conscience de leur valeur et sachant que, matelots aujourd’hui, ils seraient, s’ils le voulaient, capitaines demain.

Vers midi, tous les équipages étaient au complet, il ne restait à terre que l’amiral et les trois capitaines.

— Messieurs, dit Montbars à ses officiers, aussitôt que nous serons hors des passes, liberté de manœuvre, chacun marchera à sa guise ; nous avons fort peu de vivres à bord, les îles espagnoles que nous rencontrerons sur notre route nous en fourniront, ne craignez pas de piller les corales des Gavachos, ce sera toujours autant de pris sur l’ennemi. Ainsi il est bien