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mais encore des sabres, des haches, des poignards et quatre fusils avec de la poudre et des balles ?

— Le chef pâle ferait cela ! s’écria-t-il un air incrédule. Ainsi armé, qui résisterait à O-mo-poua ?

— Si je faisais plus encore ? reprit l’aventurier avec un sourire.

— Le chef plaisante ; il est très gai. Il se dit : les Indiens sont crédules ; je veux rire aux dépens d’O-mo-poua.

— Je ne plaisante pas, chef ; je suis au contraire très sérieux : les choses que j’ai énumérées, je te les donnerai ; et, afin que tu atteignes en sûreté ton pays, je t’adjoindrai un compagnon, un homme brave, qui sera ton frère, et te défendra comme tu le défendras toi-même.

— Et ce compagnon ?

— Le voilà, fit Montbars, en désignant son engagé calme et immobile auprès de lui.

— Je ne ferai donc pas l’expédition avec toi, Montbars ? dit celui-ci d’une voix triste avec un accent de reproche.

— Rassure-toi, fit Montbars, en lui frappant doucement sur l’épaule, la mission que je te donne est toute de confiance et plus périlleuse encore que l’expédition que j’entreprends. J’avais besoin d’un homme dévoué, d’un autre moi-même, je t’ai choisi.

— Tu as bien fait en ce cas ; je te prouverai que tu ne t’es pas trompé sur mon compte.

— J’en suis convaincu déjà, mon gars. Acceptes-tu ce compagnon, O-mo-poua ? Il t’aidera à passer sans être insulté ou attaqué au milieu des flibustiers que tu rencontreras sur ta route.

— Bon ! le chef pâle aime réellement O-mo-poua. Que fera l’Indien en arrivant dans son pays ?

— Les frères d’O-mo-poua sont réfugiés, je crois, aux environs de l’Artibonite ?

— Oui, dans les grandes savanes des arbousiers, auxquelles les Français ont donné le nom de Mirebalais.

— Bien ! O-mo-poua ira trouver les siens, il leur dira de quelle façon les flibustiers traitent les Caraïbes ; il leur présentera son compagnon et il attendra.

— J’attendrai ! Le chef pâle viendra donc à Haïti ?

— Probablement, dit Montbars, avec un sourire d’une expression indéfinissable ; et la preuve, c’est que mon engagé demeurera dans ta tribu jusqu’à mon arrivée.

— Bien ! J’attendrai la venue du chef blanc. Mais quand partirai-je ?

— Cette nuit même. Descends au rivage ; va de ma part trouver le propriétaire de la pirogue qui nous a amenés : voici de l’argent (et il lui donna quelques piastres) ; tu lui diras que j’achète cette embarcation toute gréée dans l’état où elle se trouve. Tu te procureras en même temps des vivres, et tu attendras ton compagnon auquel j’ai quelques mots à dire encore, mais qui te rejoindra bientôt.

— Je pars alors : le remerciement est dans mon cœur et non sur mes lèvres.