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— Je ferai ce que vous désirez, mon frère ; mais si cette dame exige, malgré mes remontrances et mes prières que le rendez-vous ait lieu, comment vous en avertirai-je ?

— Puisqu’il vous a été possible de vous rendre ici, à plus forte raison parviendrez-vous, sans attirer les soupçons, à pénétrer dans la partie française de Saint-Domingue.

— J’essayerai du moins, mon frère, s’il le faut absolument.

— Vous allumerez un grand feu sur la côte aux environs du port Margot, je saurai ce que cela signifiera.

— Je vous obéirai, mon frère ; mais quand devrai-je allumer ce feu ?

— Combien de temps vous proposez-vous de demeurer encore ici ?

— Je compte partir aussitôt après notre entrevue.

— Ce soir même, alors ?

— Oui, mon frère.

— Ah ! ah ! il y a donc un navire espagnol aux environs ?

— Probablement, mon frère, mais si vous le découvrez et que vous vous en empariez, comment parviendrai-je à gagner Hispaniola ?

— C’est juste, cette considération sauve les Gavachos ; mais, croyez-moi, en réfléchissant bien, je crois devoir vous donner un conseil.

— Quel qu’il soit, mon frère, venant de vous, je le recevrai avec plaisir.

— Eh bien ! suivez votre pensée, partez tout de suite ; demain il ne ferait pas bon pour vous dans ces parages ; je ne répondrais pas de votre sûreté ni de celle de votre navire, vous me comprenez ?

— Parfaitement, mon frère, et pour le signal ?

— Pour le signal, allumez-le à compter d’aujourd’hui en quinze jours, je m’arrangerai de façon à arriver vers cette époque à Saint-Domingue.

— C’est bien, mon frère.

— Et maintenant, moine, adieu ou plutôt au revoir, car il est probable que bientôt nous nous rencontrerons.

— C’est probable, en effet, mon frère ; au revoir donc et que le Seigneur miséricordieux soit avec vous !

— Ainsi soit-il, dit le flibustier avec un sourire ironique.

Il fit un dernier salut de la main au moine, jeta son fusil sur l’épaule et s’éloigna, mais au bout de quelques instants il s’arrêta et revint vivement sur ses pas.

Le franciscain était demeuré immobile à la même place.

— Un dernier mot, mon père, dit-il.

— Parlez, mon frère, je vous écoute, répondit-il doucement.

— Croyez-moi, usez de tout votre pouvoir sur cette dame pour la décider à renoncer à ce rendez-vous, dont les conséquences peuvent être terribles.

— Je tenterai l’impossible pour y réussir, mon frère, répondit le moine ; je prierai Dieu de me permettre de persuader ma pénitente.

— Oui, reprit Montbars d’une voix sombre, mieux vaudrait pour elle et pour moi, peut-être, que nous ne nous revissions jamais.

Et, tournant brusquement le dos au moine, il s’engagea à grands pas dans le sentier, où il ne tarda pas à disparaître.