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— C’est bien, reprit Montbars, demain au lever du soleil l’embarquement commencera, tous les équipages devront être à bord de la flotte avant dix heures du matin.

— Nous y serons.

— Maintenant, frères, laissez-moi vous rappeler que chacun de vous doit être armé d’un fusil et d’un sabre, avoir un sac de balles et au moins trois livres de poudre ; je vous répète que l’expédition que nous entreprenons est des plus sérieuses, pour que vous n’oubliiez pas de choisir vos matelots afin de pouvoir vous aider en cas de maladie ou de blessure et de vous laisser par testament vos parts de prises, qui sans cette précaution reviendraient au roi. Vous m’avez bien compris, n’est-ce pas, frères ? profitez comme cela vous plaira des quelques heures de liberté qui vous restent encore, mais n’oubliez pas que demain au point du jour je vous attends à bord.

Les flibustiers répondirent par des vivats et quittèrent le hangar où il ne resta plus que le gouverneur, Montbars, ses capitaines et le nouvel engagé nommé l’Olonnais que l’aventurier avait acheté à l’encan quelques heures auparavant, et qui, loin d’être triste, paraissait, au contraire, extrêmement joyeux de tout ce qui se passait devant lui.

— Quant à vous, messieurs, dit Montbars, je n’ai pas d’ordres à vous donner, aussi bien que moi vous savez ce que vous devez faire : tirez entre vous au sort vos commandements, puis rendez-vous à bord, visitez la mâture et le gréement et préparez-vous à appareiller au premier signal : voilà les seules recommandations que je crois devoir vous faire ; allez.

Les trois capitaines saluèrent, et ils se retirèrent aussitôt.

— Ah ! fit d’un ton de regret le chevalier de Fontenay, mon cher Montbars, je ne vois jamais se préparer une expédition sans éprouver un vif sentiment de tristesse et presque d’envie.

— Vous regrettez la vie d’aventure, monsieur ? je comprends ce sentiment, bien que chaque expédition vous apporte une augmentation de richesse.

— Que m’importe cela ? Ne croyez pas que je fasse un calcul d’avarice ! non, mes pensées sont d’un ordre plus élevé, du reste le moment serait mal choisi pour en causer avec vous. Partez, monsieur, et si vous réussissez, comme je n’en doute pas, eh bien, qui sait ? à votre retour peut-être parviendrons-nous à nous entendre, et alors à nous deux nous tenterons une expédition dont, je l’espère, longtemps on parlera.

— Je serais heureux, monsieur, répondit poliment le flibustier, de vous avoir pour associé ; votre brillant courage et votre mérite peu commun sont pour moi des garanties certaines de succès ; j’aurai donc l’honneur de me tenir à vos ordres, s’il plaît à Dieu que je réussisse cette fois encore et que je revienne sain et sauf de l’expédition que j’entreprends.

— Bonne chance, monsieur, et à bientôt.

— Merci, monsieur.

Ils se serrèrent la main, et comme tout en causant ils étaient sortis du hangar, après un dernier salut, ils tirèrent chacun d’un côté.