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ne saurait prévoir ce qui peut advenir ; je vous propose donc de vous acheter ces deux navires au prix de quatre mille écus comptant.

— Soit, monsieur, puisque vous le désirez ; je suis heureux de vous être agréable, les deux navires sont à vous.

— J’aurai l’honneur de vous faire remettre les quatre mille écus avant une heure.

Les deux hommes se saluèrent, puis le flibustier se retourna vers les aventuriers qui attendaient, haletants d’impatience, et dont l’achat des deux navires avait encore augmenté la curiosité.

— Frères, dit-il, de sa voix vibrante et sympathique, depuis deux mois aucune expédition n’a été tentée, aucun navire n’est sorti en course ; est-ce que vous ne commencez pas à vous ennuyer de cette vie de fainéants que vous et moi nous menons ? est-ce que l’or ne commence pas à vous manquer ? est-ce que vos bourses ne sonnent pas le creux déjà ? Vive Dieu ! compagnons, venez avec moi et avant quinze jours vos poches seront pleines de gourdes espagnoles, et les jolies filles qui aujourd’hui vous tiennent rigueur vous prodigueront leurs plus charmants sourires. Sus à l’Espagnol, frères ! que ceux de vous qui veulent me suivre donnent leurs noms à Michel le Basque, mon matelot. Seulement, comme les parts de prise seront belles, les dangers seront grands ; pour les obtenir je ne veux que des hommes résolus à vaincre ou à se faire bravement tuer sans demander quartier à l’ennemi et sans le lui faire : je suis Montbars l’Exterminateur, je n’accorde pas de grâce aux Espagnols et je n’en accepte pas d’eux !

Des trépignements d’enthousiasme accueillirent ces paroles prononcées avec cet accent que savait si bien affecter le célèbre flibustier, lorsqu’il voulait séduire les individus auxquels il s’adressait.

L’enrôlement commença : Michel le Basque s’était assis devant la table précédemment occupée par les agents de la Compagnie, et écrivait au fur et à mesure les noms des aventuriers qui se pressaient en foule autour de lui et qui, tous, voulaient faire partie d’une expédition qu’ils prévoyaient devoir être des plus lucratives.

Mais Michel avait reçu des instructions sévères de son matelot ; convaincu que les hommes ne lui manqueraient pas, et qu’il s’en présenterait toujours plus qu’il ne lui en faudrait, il choisissait avec soin ceux dont il prenait les noms et repoussait impitoyablement les aventuriers dont la réputation, nous ne dirons pas de bravoure, tous étaient braves comme des lions, mais de folle témérité, n’était pas parfaitement établie.

Cependant, malgré la sévérité calculée de Michel le Basque, le nombre de trois cents hommes fut bientôt parfait ; il va sans dire que c’était l’élite des flibustiers, tous aventuriers aux noms renommés qui avaient accompli des prouesses d’audace d’une témérité incroyable, hommes avec lesquels tenter l’impossible et l’atteindre ne devenait plus qu’un jeu d’enfant.

Les premiers inscrits étaient, ainsi que cela avait été convenu la nuit précédente, les membres de la société des Douze.

Aussi M. de Fontenay qui, ancien flibustier lui-même, connaissait, non seulement de réputation, mais encore pour les avoir vus à l’œuvre, tous ces