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— Six cents ! sept cents ! huit cents ! neuf cents écus !

Une espèce de frénésie s’était emparée des spectateurs, chacun enchérissait avec colère ; la jeune fille pleurait toujours.

Belle-Tête était dans un état de fureur qui approchait de la folie ; serrant son fusil avec rage entre ses doigts crispés, il éprouvait des tentations insensées d’envoyer une balle au plus décidé de ses compétiteurs.

La présence seule de M. de Fontenay le retenait.

— Mille ! cria-t-il d’une voix rauque.

— Douze cents ! hurla immédiatement le compétiteur le plus acharné.

Belle-Tête frappa du pied avec rage, jeta son fusil sur son épaule, renfonça d’un coup de poing son bonnet sur sa tête, et d’un pas lent et solennel, comme serait celui des statues, si les statues pouvaient marcher, il alla se placer côte à côte avec son insupportable compétiteur ; et laissant retomber lourdement sur le sol la crosse de son fusil à quelques lignes des pieds de cet homme, il le regarda un instant en face d’un air de défi, et d’une voix étranglée par l’émotion :

— Quinze cents ! cria-t-il.

L’aventurier le regarda à son tour fièrement, recula d’un pas et changea froidement l’amorce de son fusil, puis d’une voix calme :

— Deux mille ! dit-il.

Devant ces deux adversaires acharnés, les autres enchérisseurs s’étaient prudemment retirés ; la lutte se métamorphosait en querelle et menaçait de devenir sanglante.

Un silence de mort planait sur le hangar, les passions surexcitées de ces deux hommes avaient tari toute la joie des assistants, arrêté toutes les plaisanteries.

Le gouverneur suivait avec intérêt les diverses péripéties de cette lutte, se préparant à intervenir.

Les aventuriers s’étaient peu à peu reculés et avaient laissé un grand espace libre entre les deux hommes.

Belle-Tête fit, lui aussi, quelques pas en arrière, visita d’un geste brusque l’amorce de son fusil et l’épaulant en couchant en joue son adversaire :

— Trois mille ! dit-il.

L’autre épaula aussitôt.

— Trois mille cinq cents ! s’écria-t-il en lâchant la détente ; le coup partit.

Mais le gouverneur, par un geste rapide comme la pensée, releva du bout de sa canne le canon de l’arme et la balle alla se loger dans le toit.

Belle-Tête était demeuré immobile, seulement, en entendant le coup, il avait rabaissé la crosse de son fusil.

— Monsieur ! s’écria avec indignation le gouverneur en s’adressant à l’aventurier qui avait tiré, vous venez de manquer à l’honneur, vous avez failli commettre un assassinat.

— Monsieur le gouverneur, répondit froidement l’aventurier, lorsque j’ai tiré, j’étais couché en joue, donc c’est un duel.

Le gouverneur hésita, la réponse était spécieuse.

— N’importe, monsieur ! reprit-il au bout d’un instant, les lois du duel